(Anti)sionisme, judéophobie et aveuglement laïc
Choc de titans, sans concession mais en toute courtoisie: dans la blogosphère anglophone, Norman Geras a finalement répondu à Oliver Kamm qui le soupçonnait d’angélisme sur sa vision d’un Trotsky favorable à l’établissement d’un foyer national juif. Je n’entre pas dans les détails, reportez vous au premier texte de Norman sur Trotsky, Juif universaliste, puis à la critique d’Oliver, et enfin à la réplique de Norman. Il faut savoir que les deux commentateurs se portent une haute estime et avaient chacun salué en des termes flatteurs le blog de l’autre.
A signaler dans le monde francophone un article inhabituel sur le sujet: Gauche: en finir avec l’antisionisme, par Christophe Rameaux, paru dans Libération (accès libre pour l’instant). Il fait par ailleurs allusion à la polémique du moment: celle qui oppose l’intellectuel islamique Tariq Ramadan, dénonçant une crispation communautaire d’intellectuels juifs français, et un appel de socialistes dans Le Nouvel Observateur, s’indignant de l’antisémitisme qu’une telle analyse sous-tendrait par nature en focalisant sur un cercle d’intellectuels caractérisé par leur appartenance communautaire.
J’avoue ne pas avoir été convaincu par cet appel. Il me paraissait plutôt relever de cet aveuglement qui, au nom de la laïcité, voudrait que différents cercles d’appartenances n’existent tout simplement pas. La France est fameuse, par exemple, pour ignorer dans ses statistiques des notions telles que la religion, l’orientation sexuelle ou la race (l’ethnie), là où la Grande-Bretagne, par exemple, déploie immédiatement une liste à choix déroutante (je sais maintenant que je suis « Caucasien »). Dans le but, certes louable, de vouloir lutter contre des discriminations hypothétiques, on se prive d’instruments utiles pour traquer, par exemple, la violence homophobe, judéophobe ou islamophobe. Une tribune analysant l’attitude de la classe politique française et s’étonnant du consensus anti-américain qui paraît exister de la gauche à la droite serait-elle illégitime parce qu’elle se limiterait à des Français?
Ramadan avait d’ailleurs publié dans Le Monde, en décembre 2001, une tribune intitulée: Existe-t-il un antisémitisme islamique? La réponse était oui, et il le déplorait (le point d’interrogation tenait sans doute au fait que, selon l’interprétation qu’il en donne, cela n’est pas conforme à l’Islam). L’intérêt de cette proclamation était cependant atténué par une de ces fausses équivalences détestables: les intellectuels juifs se voyaient sommés de se désolidariser de Sharon…
C’est plutôt dans son analyse que Ramadan me paraît critiquable. iI oppose des valeurs universelles à la prétendue crispation communautaire d’intellectuels juifs, en écrivant:
« La récente guerre en Irak a agi comme un révélateur. Des intellectuels aussi différents que Bernard Kouchner, André Glucksman ou Bernard-Henri Lévy, qui avaient pris des positions courageuses en Bosnie, au Rwanda ou en Tchétchénie, ont curieusement soutenu l’intervention américano-britannique en Irak. »
Il n’y a en réalité rien de curieux à cela! Il y a au contraire une continuité universaliste absolue à défendre le devoir d’ingérence non seulement en Bosnie, au Rwanda, en Tchétchénie, mais aussi en Irak. Et ce qui, en définitive, est bien judéophobe dans la démarche de Ramadan, c’est la volonté de discréditer cette approche en raison de l’appartenance communautaire de leurs auteurs, qui leur conférerait automatiquement la caractéristique d’être des agents au service de l’Etat d’Israël.