Un Swissroll RSS

Webmix

Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Europe: quand la France s’isole

Depuis deux jours, Le Monde étale son dépit devant la composition de la nouvelle Commission européenne. « Les libéraux en force à Bruxelles » (page 1), « La Commission Barroso donne la prééminence aux libéraux » (page 4) et un éditorial « Europe libérale » (page 14) pour l’édition datée de samedi, et pour l’édition du week-end « Commission européenne: les choix de José Manuel Barroso suscitent réserves et interrogations à Bruxelles », comprenant un encadré « Un ‘adversaire’, pour M. Montebourg (PS) ».

Les reproches sont de trois ordres: ligne idéologique, place des grands pays (ou tout au moins de la France), sens tactique par rapport aux référendums que de nombreux pays de l’Union vont tenir sur le projet de Constitution adopté par le Conseil européen pour prendre la succession des traités en vigueur.

Sur la ligne, que l’on sache la France fait partie des pays qui sont favorables à ce que le Parlement européen joue un vrai rôle politique et que la Commission soit responsable aussi devant lui. Or les résultats des élections européennes ont été favorables à la droite, ce qui doit donc logiquement se refléter et dans les politiques qui seront poursuivies et dans les personnes qui les incarnent, même avec le bémol qui sied à un ensemble fédéral pluraliste. Au demeurant, ce n’est pas Barroso qui a choisi les individus qui composent son équipe: chaque Etat désigne souverainement un commissaire, la marge de manoeuvre du président ne portant que sur la répartition des portefeuilles. Mais surtout, il est préoccupant de voir Le Monde utiliser le terme « libéral » dans un sens aussi péjoratif: la « stratégie de Lisbonne » qu’il s’agit en particulier de relancer a été adoptée à l’unanimité par le Conseil européen en mars 2000, du temps où le premier ministre français était le socialiste Lionel Jospin! Et son intention n’est pas si diabolique et pourrait même, si cela doit donner du coeur au ventre, être présentée sous un éclairage anti-américain, puisqu’il s’agit de tenter de stopper et d’inverser le décrochage de l’économie et de la prospérité en Europe par rapport aux Etats-Unis (évidemment on peut se contenter de s’en indigner en se posant en victimes!)…

Ce qui est inquiétant, c’est que cela semble à nouveau être la simple acceptation de l’économie de marché qui paraît insupportable au Monde et à certains socialistes français: ce ne sont pas des extravagances idéologiques thatchériennes mais bien des mesures réformistes élémentaires qui sont dénoncées. Et sur ce point, la France et la gauche française devraient se réveiller: ils sont bien seuls. Ni l’Espagne de Zapatero, ni l’Allemagne de Schröder, ni l’opposition de gauche italienne conduite par le Prodi qui, comme président du Conseil, a mené à bien l’adaptation du pays pour son entrée dans l’euro, ni les socialistes néerlandais, ni les Scandinaves, ni bien sûr le parti travailliste britannique se sont sur une ligne conservatrice, rétrograde et anti-économie de marché, en revanche reprise par les populistes de tout poil (et sans nul doute populaire parmi ceux qui subissent des difficultés économiques et sociales).

Le reproche sur le manque d’égard pour les grands pays est à l’avenant: outre qu’il est désobligeant par rapport aux autres Etats et commissaires, entre lesquels une égalité formelle est supposée exister, il ne tient guère la route avec des vice-présidences pour les trois grands pays fondateurs, l’Allemagne, la France et l’Italie. La nature paranoïaque de la critique éclate avec ce soupçon que c’est l’attitude par rapport à l’intervention en Irak qui serait l’élément explicatif majeur (pourtant ni le Royaume Uni ni la Pologne n’ont de vice-présidence!).

Reste une question plus sérieuse: cette Commission risque-t-elle de mettre en danger la ratification du nouveau Traité de Rome, instituant cette fois une Constitution de l’Union européenne? Cela revient à soutenir, de manière cynique, qu’il faut simplement anesthésier les opinions publiques pendant les deux ans qui viennent en ne prenant que des mesures rassurantes, protectrices, et que toute action réformiste ne peut que susciter des levées de boucliers qui seront défavorables aux référendums… La Commission fait probablement un pari différent: c’est si l’Europe parvient à sortir de l’immobilisme et de la stagnation qu’il sera possible de retrouver une force d’entraînement positive.