Queer est une histoire de folles télégéniques. Et après?
Contre toute attente, j’ai adoré l’émission Queer : 5 experts dans le vent, la version française de Queer Eye for the Straight Guy – l’émission où un hétéro beauf se fait relooker sur la forme et sur le fond par cinq experts gais (avec son consentement). Je m’attendais au pire et le pire m’a été servi: des personnages typés à souhait, c’est-à-dire des folles qui devraient être aphones à force de franchir le mur du son. Une préoccupation pour le look et les apparences qui devrait faire le désespoir du militant et du calviniste réunis que je suis. Tout devait conspirer pour que je n’aime pas, or j’ai a-do-ré.
D’abord c’est une émission qui ne ressemble à rien de ce que je connais – une originalité, une créativité toujours bonnes à prendre par les temps qui courent. Il existerait donc une télé-réalité marrante qui ne serait pas basée sur les rivalités, l’élimination et le voyeurisme (ou si peu). C’est frais, sympa et même parfois émouvant. Mais c’est surtout drôle. Personne ne se prend au sérieux (ce qui est rare, y compris pour des gais). Or la bonne humeur et la gentillesse des cinq experts-anges gardiens sont désarmantes. Et pour ce qui est du reproche du culte des apparences (look, vêtements, ameublement, décoration) il n’est peut-être pas si pertinent. En fin de compte, on n’évolue pas tellement dans le seul registre décoratif. Car il est toujours question de l’attitude (envers soi et envers l’autre) qui préside à tel comportement vestimentaire ou à tel choix en matière de décoration intérieure.
Au-delà d’un comique qui fonctionne bien (du moins chez moi), ces gars-là jouent un rôle éminemment positif , étant en service commandé pour le bénéfice d’un tiers, dont ils contribuent à sauver la vie de couple et de famille, excusez du peu. Qui aurait prédit une telle évolution? Après avoir été des monstres contre-nature, des malades, ou simplement (!) un douloureux problème (pour faire court), les gais se muent en sauveurs réquisitionnés au service des valeurs dites bourgeoises.
Alors, bien sûr, on peut déplorer que ce soit toujours une certaine image des gais qui est véhiculée. Une image des plus rassurantes. On sait bien que rien n’est plus inquiétant pour le macho de base qu’un homosexuel qui ne ressemble pas à l’image efféminée qu’il s’en fait. Mais toutes ces considérations raisonnables n’arrivent pas à me faire bouder mon plaisir fondé sur le rire et l’émotion. Serait-ce à mettre sur le compte de la part de follitude en moi que je ne peux totalement réprimer? Certes, il y a des folles que j’abhorre, mais elles ont peu à voir avec les cinq experts de la mission queer. Ce sont notamment des gens qui résident au centre du monde, dont les rires et les propos stridents ne sont pas drôles parce qu’ils prennent toute la place. Aucune ressemblance avec les personnages de cinq bonnes fées mis en scène pour réarranger avec une bienveillance amusée la vie d’un résident de l’autre bord.
Complément du 11.10.04. Les bonnes et raisonnables raisons que ce billet n’a pas manqué d’évoquer ont fait que Libération n’a été charmé ni par la magie du concept ni par le charisme des exécutants.