Contre les fundis: entre realos et idealos
Ouf! Fin du psychodrame de la semaine au Parlement britannique, avec l’adoption hier soir, après plus de trente heures d’un match ininterrompu en 4 sets entre les deux chambres, de la loi sur les mesures de contrainte à l’égard des personnes suspectées de terrorisme (comme on l’appellerait sans doute en Suisse).
Je n’ai pour ma part aucun état d’âme à l’égard de ce type de législation, et n’accepte pas l’idée que ce ne serait qu’un mal nécessaire, un expédient dont il y aurait lieu de s’excuser, et que seul peut expliquer le réalisme tripal et méprisable de celui qui a la responsabilité du pouvoir et veut répondre à l’attente de l’opinion publique (massivement favorable aux mesures, contrairement aux élites médiatiques). Dans ce partage des rôles les adversaires auraient le monopole du coeur et de la raison, soucieux de faire prévaloir les libertés publiques sur une tentation autoritaire qui, nous dit-on, ferait le jeu de l’adversaire que ces mesures cherchent à combattre (sur le mode: « mieux vaut acquitter un coupable que condamner un innocent », ce qui est parfaitement juste, ce serait en somme: « mieux vaut un petit attentat non prévenu que de trop importuner un cercle de suspects déterminé trop largement »; merci pour les victimes, et il n’y a pas de garantie que l’attentat ainsi permis serait « petit »). De mon point de vue, elles adaptent simplement au système britannique, dont le régime judiciaire est draconiennement plus favorable au suspect et à l’accusé que les systèmes continentaux (avec des aspects courtelino-ubuesques sur lesquels je devrais à l’occasion revenir sur ce blog), des possibilités de surveillance et de contrôle indispensables qui, ailleurs, existent: voir par exemple le traitement en France des prisonniers de Guantanamo, détenus encore pendant des mois là où ceux rendus à la Grande-Bretagne ont immédiatement trouvé des oreilles complaisantes pour se poser en victimes!
Je vois bien davantage dans la position de Blair une vision responsable et raisonnable de la défense des libertés (y compris le droit à la vie et à la liberté d’aller et de venir pour les victimes potentielles du terrorisme) contre l’évolution d’une menace face à laquelle les moyens précédents n’étaient plus adaptés, et dans l’opposition à ces mesures un mélange de nostalgie pour un monde qui a disparu et de nombrilisme « bobo », vaguement suicidaire, qui refuse de voir la réalité, agrémenté de considérations politiciennes inévitables tant pour les opposants travaillistes que pour l’opposition conservatrice et libérale-démocrate, surtout à moins de deux mois des éventuelles prochaines élections générales. Le leader conservateur, Michael Howard, qui fut sous Thatcher un ministre de l’intérieur particulièrement haï par les milieux libéraux et humanistes, a sans nul doute apprécié de pouvoir redresser son image à bon compte, en faisant une nouvelle fois preuve de ses talents pour le grand écart opportuniste puisqu’on ne saurait, contrairement aux libéraux-démocrates, craindre de la sensiblerie de sa part.
J’ai envie de faire un rapprochement avec l’affaire dans laquelle semble malheureusement s’enfoncer Joschka Fischer en Allemagne (et on commence peut-être à mieux comprendre l’inspiration germanique du titre): une politique se voulant généreuse d’attribution de visas, commencée en 2000 et poursuivie jusqu’à assez récemment, qui a semble-t-il donné lieu très vite à des inquiétudes, puis qui s’est confirmée en abus, que le sympathique ministre Vert s’est obstiné à ignorer. Si je tiens Fischer pour un pragmatique et un libéral anti-totalitaire (malgré son attitude décevante sur l’Irak), donc un anti-« fundis », il me paraît avoir ici troqué le réalisme pour l’idéalisme naïf.
Le même scandale, à base des mêmes idées généreuses sur la liberté de déplacement à offrir aux ressortissants des ex-pays de l’Est (et il ne s’agissait que d’eux, alors que la politique allemande semble avoir été bien plus large) et sur la capacité d’intégration de l’économie et de la société, s’est développé il y a un an ou deux au Royaume Uni: sa figure emblématique était un unijambiste qui avait obtenu un permis de travail comme couvreur… Mais quand l’affaire a été révélée, Blair a été prompt a agir: quand il lui arrive de tomber dans le piège de l’idéalisme, il sait en sortir rapidement.