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Une social-démocratie blairiste pour l’Europe

Le Temps publiait hier un bilan en forme de manifeste du ministre délégué aux affaires européennes du gouvernement britannique, Denis MacShane (qui a vécu à  Genève lorsqu’il exercait des fonctions syndicales internationales). Il n’était toutefois accessible en ligne que sur organiseur de poche, ou alors aux abonnés, et est payant pour tout le monde depuis. Son auteur m’a toutefois autorisé à  le reproduire ici:

Tribune publiée par Le Temps le 11 janvier 2005 sous le titre:
Tony Blair et ses chers camarades français et européens
par Denis MacShane

Lors du débat qui a opposé au sein du Parti socialiste français les partisans du oui à  ceux du non au référendum sur le Traité constitutionnel européen, tous s’accordaient du moins sur un point: dans les colonnes du Monde et de Libération, ils avertissaient les lecteurs que le spectre d’une Europe blairiste devait être écarté à  tout prix.

L’un des symptômes les plus intéressants de ce syndrome est que la gauche française refuse de prêter la moindre attention aux efforts déployés en Grande-Bretagne pour modeler une nouvelle social-démocratie pour le XXIe siècle. Si l’on se fie à  la presse parisienne pour suivre ce qui se passe en Grande-Bretagne, il est impossible d’être au courant des faits suivants:

  • Depuis que Tony Blair a été élu premier ministre en 1997, deux millions de nouveaux emplois ont été créés, soit un toutes les trois minutes.
  • Avec 7,5 millions de travailleurs payant leurs cotisations, le taux de syndicalisation n’a pas baissé. A l’inverse, en Allemagne, la DGB a perdu 1000 adhérents par jour en 2003 et 2004. En France, 1% seulement des travailleurs du secteur privé sont syndiqués.
  • Vingt-six lois nouvelles ont contribué à  renforcer les droits des syndicats et des travailleurs.
  • Le salaire moyen des travailleurs a augmenté de 40%. Il suffit de voir le nombre de Britanniques se rendant en Suisse pour les vacances par les vols EasyJet pour constater que la politique de plein emploi menée par le Labour porte ses fruits.
  • Vingt-quatre mille postes de professeurs ont été créés dans l’enseignement secondaire.
  • Dix mille médecins de plus sont en exercice.
  • Des soins médicaux gratuits sont garantis à  tous les citoyens sans coût pour les employeurs ni pour les travailleurs.
  • Le taux d’accidents du travail est le plus faible en Europe, après la Suède.
  • La part du revenu national consacrée à  l’aide au développement a doublé. En réaction à  la catastrophe qui vient de frapper l’Asie, la Grande-Bretagne a envoyé l’équivalent de 100 millions de francs suisses ainsi que des navires, des avions et des hélicoptères pour participer aux secours. En 2005, la Grande-Bretagne prend la présidence du G8. Tony Blair a annoncé que ses deux priorités seront l’Afrique et le changement climatique: la politique des valeurs alliée à  la politique de la croissance économique.
  • Les syndicats sont consultés régulièrement et siègent dans des commissions paritaires dans tous les ministères les plus importants, y compris au Foreign Office.
  • La part des cotisations sociales versées par ménages les plus aisés a augmenté.
  • Seul en Europe, Tony Blair a promu des représentants des minorités ethniques aux plus hautes responsabilités au sein du gouvernement. De nombreux Britanniques issus de l’immigration sont élus à  l’échelle nationale comme à  l’échelle locale. Ils sont plus à  même d’exposer les problèmes de leurs communautés d’origine que certains intellectuels autoproclamés qui attaquent les valeurs fondamentales de la démocratie parlementaire, les droits des femmes et la laïcité.

Il y a cinq ans, on pouvait croire que les partis de la social-démocratie européenne avaient mené à  bien une révolution rose. De Rome à  Lisbonne, d’Athènes à  Amsterdam, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni les partis de centre gauche étaient au pouvoir. Où en sont-ils aujourd’hui?

Les partis qui ont perdu le pouvoir sont ceux qui ont refusé de comprendre qu’un compromis historique entre forces sociales et économiques était inévitable. Trouver le juste équilibre entre la nécessité d’encourager le développement d’une économie dynamique et compétitive et l’exigence de travailler à  la justice sociale est la pierre philosophale de la démocratie moderne.

Tout comme l’économie industrielle a remplacé l’économie agricole, une nouvelle économie basée sur l’échange plutôt que sur la production est en train de prendre forme. Une nouvelle classe de travailleurs est née et elle mérite d’être correctement représentée.

La Grande-Bretagne est aujourd’hui le laboratoire où les nouveaux principes de la social-démocratie sont mis à  l’épreuve. Nul n’est besoin d’en dresser un tableau angélique. Les inégalités héritées de l’ère Thatcher, où le mot d’ordre était «Enrichissez-vous», n’ont pas disparu. Chaque groupe d’intérêt exige toujours plus pour lui-même. Ceux qui bénéficient de privilèges ne sont pas prêts à  les partager. Les syndicats dont la philosophie a été forgée à  l’époque de la production industrielle de masse ne savent pas comment se réinventer.

La tentation de chercher remède dans l’isolation persiste. Si la Suisse a les Alpes, la Grande-Bretagne a l’océan pour rêver à  l’abri du monde. Mais la social-démocratie de Tony Blair reste résolument européenne et internationaliste, donc aussi atlantiste.

Pour cela aussi, elle est critiquée. L’anti-américanisme de la gauche fait alliance avec l’anti-européanisme de la droite. La presse de gauche à  Londres ne se lasse pas d’accuser Washington de tous les maux pendant que la presse de droite s’en prend à  Bruxelles.

Pourtant une social-démocratie moderne doit être à  la fois proeuropéenne et proche de la seule autre région importante du monde où les valeurs démocratiques sont défendues — l’Amérique du Nord.

Dans le courant de l’année, les électeurs britanniques seront appelés à  décider s’ils renouvellent leur confiance à  Tony Blair pour un troisième mandat. Les sondages montrent pour l’instant une importante majorité en faveur du Labour. La politique britannique du réformisme permanent est beaucoup critiquée, mais seul le verdict des urnes compte. Si la gauche européenne veut revenir au pouvoir le temps est venu de ravaler sa fierté et de commencer à  s’interroger sur ce qui permet à  la social-démocratie à  l’anglaise d’atteindre ses objectifs.

Un commentaire

  1. 19 janvier 2005

    Trés bon article mais un peu manichéen: En prmeir lieu le labour n’a pas encore achevé sa conversion à  l’europe et les sociaxu-démocrates du continent ne sont pas une bande de vieux barbons.Ensuite la modernité n’est pas forcément blairiste. Pour le reste je suis d’accord à  200 %

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