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Elections fédérales en Suisse

Pays conservateur, la Suisse résiste aussi à  la tentation populiste: l’UDC en recul

Aujourd’hui on ne vote pas qu’en Tunisie! Voici la traditionnelle galerie de photos de campagne électorale dans le canton de Genève[1], prétexte à  un peu de vulgarisation sur les curiosités institutionnelles de la Suisse, qui ne laissent aucune place au lyrisme des lendemains qui chantent (ou au drame des surlendemains qui déchantent).

Ce que l’on appelle les élections fédérales, c’est avant tout l’élection dans tous les cantons des membres de la Chambre basse: 200 conseillères et conseillers nationaux. C’est aussi, dans la plupart des cantons, l’élection des membres de la Chambre haute (46 conseillères et conseillers aux Etats). Mais alors que les premiers font l’objet d’un scrutin uniforme qui obéit à  des règles fédérales, les seconds sont régis par le droit cantonal: ce n’est que progressivement que l’élection populaire (plutôt que la désignation par le parlement cantonal) s’est généralisée, de même que la simultanéité avec le scrutin pour le Conseil national. Un seul canton fait bande à  part, pour élire son unique conseiller aux Etats lors de l’assemblée des électrices et électeurs, connue sous le nom de Landsgemeinde, qui se tient au printemps); deux cantons pratiquent le scrutin proportionnel de liste pour élire leurs deux députés[2], dix-huit cantons le scrutin majoritaire à  deux tours, mais avec des règles différentes pour l’élection dès le premier tour ou l’accès au second, et six cantons n’élisent, pour des raisons historiques, qu’un député. Les deux Chambres, strictement égales en droit et en compétences (ce n’est pas le cas en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis, et encore moins au Royaume-Uni), forment l’Assemblée fédérale qui siège en un seul corps pour l’élection des membres du gouvernement fédéral et des magistrats du pouvoir judiciaire fédéral[3].

Par rapport aux autres démocraties, il y a toutefois deux particularités sur lesquelles je voudrais insister:

  • Ces élections ne sont pas très importantes pour la vie politique. La Suisse n’est pas un régime parlementaire, reposant sur l’existence d’une majorité, qui forme le gouvernement, et d’une opposition, qui aspire à  devenir majoritaire. Elle est beaucoup plus proche du système présidentiel de stricte séparation de l’exécutif et du législatif, condamnés à  s’entendre, avec un élément supplémentaire: la démocratie directe, cette épée de Damoclès, cet énorme surmoi qui s’impose aux politiciens du fait que toute loi votée par le Parlement doit être soumise au référendum avant d’entrer en vigueur si 50’000 citoyennes et citoyens le demandent, de même que toute proposition de modification de la Constitution soutenue par 100’000 d’entre eux et, obligatoirement, tout changement constitutionnel (et important traité international) approuvé par le Parlement. De fait, tant le Parlement élu pour quatre ans que les membres du gouverment qu’il (ré)élira début décembre sont en liberté surveillée (et c’est aussi pourquoi les membres du gouvernement ne sont pas élus sur un programme,comme une équipe, mais individuellement: ils seraient bien en peine de l’imposer), toujours à  chercher comment ne pas déplaire au peuple, cette Pythie capricieuse…
  • Ces élections sont en réalité 26 scrutins cantonaux. Le Conseil national est théoriquement élu selon le système de la représentation proportionnelle, mais ce principe est largement battu en brèche par le fait qu’il est subordonné à  une autre règle: chaque canton forme une circonscription qui élit un nombre de députés proportionnel à  sa population (mais au moins un: sans cette règle, trois des six cantons qui n’élisent qu’un conseiller national devraient être absorbés dans une circonscription plus vaste). Ce qui nous donne: six élections au scrutin uninominal à  un tour, treize élections à  un scrutin proportionnel particulièrement grossier pour élire deux à  neuf membres du Conseil national; cinq élections avec une proportionnelle dure aux courants rassemblant moins de 10% de l’électorat cantonal pour 10 à  18 sièges; et deux élections seulement, dans les cantons de Berne (26 sièges) et Zurich (34 sièges), offrant un siège à  des listes représentatives de moins de 4% des électrices et électeurs. Cela conduit directement à  un autre facteur centripète: les organes fédéraux des partis n’ont pratiquement rien à  dire dans la désignation des candidats ou l’orientation de la campagne électorale – le plus centralisé étant selon un paradoxe qui n’est qu’apparent l’UDC soi-disant si attachée aux valeurs traditionnelles du fédéralisme etc. Il n’y a aucune fatalité à  cela: le Bundestag allemand fait lui l’objet d’une répartition proportionnelle entre les partis au niveau national, avec un quorum national de 5% prévenant l’émiettement à  l’israélienne, et c’est seulement au stade de la désignation des titulaires des sièges[4] que la répartition entre les Länder intervient; mais la Suisse deviendrait alors une République fédérale…

Une autre particularité non négligeable est le mode de vote à  la proportionnelle: contrairement à  ce qui se passe en France ou en Allemagne, ce sont les électrices et les électeurs qui ont le dernier mot sur les partis au moment de décider qui, concrètement, sera élu. Car ils ne sont pas obligés de voter pour une liste en bloc (ils peuvent même ne pas choisir un parti, ne votant que pour un ou des candidats individuels). Et cela rend aussi l’expression de la représentation populaire moins carrée ou plus confuse, entre ceux qui votent à  la fois pour des candidats de gauche et des candidats de droite et ceux qui ne votent pas pour autant de candidats qu’il y a de sièges de leur canton sans désigner de parti bénéficiaire du solde de leurs suffrages.

Tous ces facteurs se combinent pour ne livrer que des changements incrémentaux à  chaque élection, au grand chagrin des commentateurs, bien loin des « tremblements de terre » politiques que l’on peut connaître ailleurs. On glosera donc, dans les cantons, sur les résultats individuels si tel « sortant » est battu par un colistier et, au niveau national, sur des variations de quelques sièges de l’UDC, du PS, des libéraux-radicaux et du PDC, et des deux dissidences que représentent le parti bourgeois démocratique et les Vert’libéraux pour passer sans transition aux combinazione présidant à  l’élection des membres du Conseil fédéral: un siège socialiste romand est à  repourvoir, l’UDC obtiendra-t-elle le deuxième siège auquel elle aspire, et si oui sera-ce au détriment d’Eveline Widmer-Schlumpf (PBD) ou de Johann Schneider-Ammann (PLR), sinon ira-t-on à  l’inverse vers l’exclusion de l’UDC du gouvernement au profit d’un deuxième siège PDC, voire de l’entrée d’un Vert…

Tous les électeurs et électrices ont reçu à  domicile, avec les bulletins de vote imprimés par les partis et une liste blanche à  compléter, une brochure officielle d’information. Le vote, par correspondance, est en cours depuis plus de deux semaines. Ce matin il est également possible de voter dans des bureaux de vote. Le scrutin est clos à  midi, les résultats du Conseil national seront connus dans l’après-midi, de même que les premiers résultats des élections aux Conseil des Etats: voir les résultats pour Genève de l’élection au Conseil national et au Conseil des Etats, et les résultats nationaux officiels.

Sur les affiches genevoises, l’accent est mis sur les candidats locaux, tout simplement, sans grand souci de message politique. L’exception, avec l’extrême gauche et une affiche écologiste, c’est comme d’habitude l’UDC qui se signale par deux affiches fortes[5]. J’ai cette fois tenté d’organiser la série, de l’extrême gauche à  l’UDC, avant de terminer par les affiches atypiques: le MCG, parti populiste anti-frontaliers bien implanté mais récent et purement local, un parti « évangélique » qui n’a traditionnellement d’élus qu’à  Zurich, un parti tout neuf constitué autour du numérique qui lui aussi n’a guère de chance qu’à  Zurich, une liste marginale et les Verts libéraux, parti national né à  Zurich à  la charnière entre droite et gauche (qui pourrait avoir une petite chance de percer à  Genève, tant les Verts sont un parti de gauche traditionnel et la droite du centre mal remise de la fusion entre libéraux et radicaux, mais je n’y crois pas trop). A signaler l’absence, cette année, de listes distinguant les candidatures masculines et féminines[6] mais l’existence de listes jeunes et transfrontalières: cela s’explique par la possibilité d’apparenter les listes, ce qui permet de ratisser plus large tout en regroupant les suffrages pour maximiser l’effet lors de la première répartition; mais les jeunes par exemple ont peu de chance d’avoir un élu.

Affiche Jeunes UDC VDContre-affiche piratePour conclure sur une note plus légère, j’emprunte ces deux affiches vaudoises à  l’ami André: on connaissait déjà , de John Kennedy à  DSK en passant par Clinton, Mitterrand ou Chirac, le priapisme qui accompagne souvent l’ambition des hommes politiques, mais la relève est assurée. Comme naguère les Jeunes socialistes genevois, les Jeunes UDC vaudois n’hésitent pas à  placarder leur obsession pour le sexe.

Je prévoyais de mettre en ligne ce billet à  la mi-journée, sans attendre les résultats, mais puisque des raisons matérielles m’en ont empêché autant commenter les premières tendances! Je suis ravi que la résistible ascension de l’UDC se confirme, comme nous étions peu à  le prédire: elle perd des suffrages et des sièges. Et oserai-je dire que je suis content que le PLR se maintienne devant le PDC? Cela ôte définitivement un prétexte aux défaitistes prêts à  le priver d’un siège au Conseil fédéral pour l’offrir à  l’UDC. Moi je suis au contraire partisan de confirmer Eveline Widmer-Schlumpf, dont le nouveau parti issu d’une dissidence démocratique de l’UDC réussit sa percée, quelque part complétée par l’émergence des Verts libéraux entre la gauche et ls droite, et de remplacer l’actuel membre UDC du gouvernement par un second PDC, dotant ainsi le pays d’un gouvernement cohérent (2 PS, 2 PDC, 2 PLR, 1 PDB) susceptible de rassembler des majorités variables tant au Parlement qu’en votation pour faire face aux problèmes de l’heure.

Notes

[1] Merci à  mon ami Martin!

[2] Ce qui est plus démocratique: il faut deux tiers des voix pour monopoliser les deux sièges, un courant rassemblant plus d’un tiers des voix est assuré d’un siège.

[3] Dont le Ministère public fait partie.

[4] Une moitié d’entre eux au scrutin majoritaire uninominal, qui dans des cas limite viennent corriger la stricte répartition proportionnelle et augmentent le nombre de députés pour la législature.

[5] Et en réalité il y en a d’autres; cette collection ne regroupe que l’affichage officiel gratuit, une particularité du canton de Genève, mais il existe également à  côté un affichage commercial d’image, lui national, utilisé uniquement par l’UDC et le parti libéral-radical qui sont seuls à  en avoir les moyens financiers.

[6] Qui avaient pour but d’assurer une certaine parité.