Les folies de Mark Foley
Pour une fois que je peux communier dans la dérision et le sens de la supériorité européenne à l’égard de la société américaine! La démission ignominieuse d’un élu républicain de Floride à la Chambre des représentants, à quelques semaines d’une réélection qui s’annonçait facile, a tout du conte de fées moral (pour adultes, quand même): il était en particulier l’artisan de cette loi qui introduit une majorité sexuelle différente sur Internet (18 ans, règle fédérale)[1] et dans la vie de tous les jours (variable selon les Etats), et qui lui est aujourd’hui fatale. Les ex-stagiaires qu’il poursuivait (avec leur consentement, même si cela ne change rien à l’affaire) de ses assiduités à coup de messages instantanés à contenu explicite (« salace » est un mot trop vieillot pour rendre compte des dialogues parfaitement modernes[2] qui sont maintenant publiés par ABC News) avaient moins de 18 ans, mais plus de 16, ce qui rend grotesque l’accusation de pédophilie immédiatement articulée à son égard: à le lire, ce ne sont pas les pré-pubères qui excitent Foley.
Que ces ex-stagiaires soient des jeunes hommes plutôt que des jeunes filles ne change à peu près rien à l’affaire non plus, sinon que cela illustre une fois de plus le danger pour l’équilibre mental qu’il y a à ne pas s’assumer: Foley n’était pas « ouvertement » gay, c’était seulement de notoriété publique. Voilà qui contraste, par exemple, avec le président de la Chambre basse du Parlement fédéral helvétique, Claude Janiak…
COMPLEMENT DE 23H: Comme souvent dès qu’il est question d’affaire de moeurs, le vocabulaire tend à déraper pour suggérer davantage que ce qu’il y a à dire. Ce n’est pas à une mais à deux reprises que Le Monde parle de « jeunes garçons » (une expression qu’on devrait réserver à des gamins de moins de 10-12 ans en culotte courte) à propos de jeunes hommes de 16 à 18 ans, sexuellement majeurs même si ce ne sont pas encore de « jeunes adultes ». De la même manière, le mot « fillette » ne vient plus guère sous la plume des journalistes qu’à propos de victimes pré-adolescentes ou adolescentes…
COMPLEMENT D’ALEX DEPRAZ LE 05.10 à 13h56: A mettre en parallèle avec l’affaire « Sophie13″…
Petit rappel des faits: une adolescente suisse chatte avec une interlocutrice de son âge dont le pseudo est « Sophie13 » (13 pour le département des Bouches-du-Rhône). Après plusieurs mois de dialogue, une conversation via webcam permet à l’ado de découvrir que « Sophie13 » est en réalité un homme d’une cinquantaine d’années. Le contact se poursuit. L’adolescente vit dans un contexte familial perturbé (rumeur de mariage forcé la concernant). Elle part rejoindre son amour du net dans la région de Marseille. Le quinquagénaire accueille l’adolescente, y compris dans son lit, la présente à sa famille. Personne n’a de doute sur son âge: l’ado a juste moins de 15 ans mais de toute évidence elle passe pour plus âgée. La police finit par la retrouver. Depuis, l’homme est en prison et l’ado refuse de retourner vivre au domicile familial.
Reste la manière dont la presse traite cette banale histoire d’amour adolescente: le quinquagénaire est traité comme un « pédophile » alors qu’il n’a aucun antécédent et que la fille est pubère. On qualifie les actes d’ « abus » alors même qu’il n’y a aucun indice d’usage de la contrainte. Et bien sûr on dénonce la « perversité » du net (cette couverture de L’llustré) alors même que via webcam l’adolescente savait parfaitement à qui elle avait affaire et a rejoint l’individu en connaissance de cause après de longues discussions!
Certes, l’affaire tombe sous le coup du droit pénal: en France, semble-t-il, l’acte est grave si la mineure a moins de 15 ans (est-il punissable après s’il n’y a pas usage de la contrainte, je l’ignore?); en Suisse, l’acte d’ordre sexuel librement consenti est en principe punissable avec un mineur de moins de 16 ans (sous réserve d’une différence d’âge de moins de trois ans). il s’agit donc bien d’une infraction, mais il n’y a ni pédophilie ni abus (en tout cas au sens du droit suisse). Et dire que Lolita a été publié il y a plus de cinquante ans!
Notes
[1] Inconnue à ma connaissance sous nos cieux. Pas forcément une mauvaise idée, mais c’est peut-être discutable lorsque les interlocuteurs se connaissent, comme c’était le cas ici: dialogues entre ex-stagiaires ayant travaillé pour lui et Mark Foley alias Maf54, jeune quinquagénaire portant beau outre qu’il sécrète le phéronome de la politique…
[2] Les ex-stagiaires y font preuve d’une maturité impressionnante, je le dis sans ironie aucune!
« La démission ignominieuse du président de la Chambre des représentants » –> euh, Hastert n’a pas encore démissionné, c’est juste un membre de la Chambre qui a démissionné. Bon, au moins, ce député n’a pas eu d’attitude ouvertement anti-gay, et on peut plaindre ce qu’il doit vivre en ce moment avec ses proches qui découvrent les mails échangés…
@Oli: oups, je me suis emmêlé les pinceaux… Je corrige, merci!
Pourquoi vous insurger contre l’emploi du qualificatif de « jeune garçon » ? Vous semblez vouloir le mettre, à tort il me semble, en parallèle avec « fillette », qui évoque effectivement une pré-adolescente mais je ne crois pas que les deux termes font la paire. S’il fallait faire des équivalences, j’associerais plutôt sémantiquement « jeune garçon » avec « jeune fille » et « garçonnet » avec « fillette ». A mon sens, « jeune garçon » n’implique pas la pré-puberté, mais désigne plutôt l’adolescent qui n’a pas atteint l’âge de majorité légale.
D’autre part, le terme de pédophilie est utilisé légalement pour désigner des contacts sexuels ou sexuellement explicites impliquant un mineur de moins de 18 ans et un adulte et son utilisation n’est donc pas « grotesque » dans le cas considéré. Si on considère que la puberté (que vous associez à un concept flou de « majorité sexuelle ») devrait être le critère de choix pour statuer sur le caractère pédophile, comme vous le suggérez, alors un adulte qui a des relations sexuelles avec une fille de 12 ans pubère (elles le sont souvent à cet âge voire avant) n’est pas pédophile…
@Damien: Non, justement, pédophilie n’est pas concept juridique mais psychologique ou psychiatrique, qui désigne l’affection de l’adulte qui est attiré sexuellement par des enfants (pré-pubères).
Le concept de majorité sexuelle (14 ans, 15 ans, 16 ans selon les pays — y en a-t-il vraiment où c’est encore 18 ans (le cas de la loi US visant l’Internet mis à part)? –, lui, n’est nullement flou mais juridique (et peut même être à géométrie variable, comme c’est le cas en Suisse); il inclut évidemment la répression des actes pédophiles, mais pas seulement (la différence se marquant, je l’espère, dans la peine), et la confusion n’arrange rien. L’affaire Gabrielle Russier (interprétée par Annie Girardot dans le film Mourir d’aimer) n’est pas une histoire de pédophilie. Autre illustration: si la majorité sexuelle est à 16 ans (fixe), le rapport consentant entre deux jeunes de 15 et 17 ans est illicite, mais ce n’est pas pour autant de la pédophilie.
petit rappel du droit suisse:
Arrêt du Tribunal fédéral du 9 juin 2006 – 6S.117/2006
»L’art. 187 CP punit de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l’emprisonnement celui qui aura commis un acte d’ordre sexuel sur un enfant de moins de seize ans. Cette disposition a pour but de permettre aux enfants un développement sexuel non perturbé. Elle protège le jeune en raison de son âge, de sorte qu’il est sans importance qu’il ait ou non consenti à l’acte.
Définissant une infraction de mise en danger abstraite, elle n’exige pas que la victime ait été effectivement mise en danger ou perturbée dans son développement (Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, p. 719 n. 4 ad art. 187; Rehberg/Schmid/Donatsch, Strafrecht III, 8è éd., p. 404; Jenny, Kommentar zum schweizerisches Strafgesetzbuch, Bes. Teil., vol. 4, Berne 1997, p. 24, n. 6 ad art. 187).
Par acte d’ordre sexuel, il faut entendre une activité corporelle sur soi-même ou sur autrui qui tend à l’excitation ou à la jouissance sexuelle de l’un des participants au moins (Corboz, op. cit., p. 719, n. 6 ad art. 187;Rehberg/Schmid/Donatsch, op. cit., p. 406). Selon la jurisprudence, il faut d’abord distinguer les actes n’ayant aucune apparence sexuelle, qui ne tombent pas sous le coup de la loi, des actes clairement connotés sexuellement du point de vue de l’observateur neutre, qui remplissent toujours la condition objective de l’infraction, indépendamment des mobiles de l’auteur. Dans les cas équivoques, qui n’apparaissent extérieurement ni neutres, ni clairement connotés sexuellement, il convient de tenir compte de l’ensemble des éléments d’espèce, notamment de l’âge de la victime ou de sa différence d’âge avec l’auteur, de la durée de l’acte et de son intensité, ainsi que du lieu choisi par l’auteur (ATF 125 IV 58 consid. 3b p. 63). Il résulte de cette jurisprudence que la notion d’acte d’ordre sexuel doit être interprétée plus largement lorsque la victime est un enfant. Dans ce cas, il faut se demander si l’acte, qui doit revêtir un caractère sexuel indiscutable, est de nature à perturber l’enfant (Corboz, op. cit., n. 7 ad art. 187).
Selon la doctrine, un baiser sur la bouche ou une tape sur les fesses sont des actes insignifiants (Corboz, op. cit. p. 721 n. 10 ad art. 187; Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkommentar 2e éd., n. 6 ad art. 187). En revanche, un baiser lingual (Corboz, op. cit., p. 721 n. 11 ad art. 187; Trechsel, op. cit., loc. cit.) ou des baisers insistants sur la bouche (ATF 125 IV 62 consid. 3c) revêtent indiscutablement un caractère sexuel. Il en va de même d’une caresse insistante du sexe, des fesses ou des seins, même par-dessus les habits (Trechsel, op. cit. loc. cit.). Lorsque la victime est un enfant, la pratique tend à admettre l’existence d’un acte d’ordre sexuel, même pour des attouchements furtifs par-dessus les habits, qui entraîneraient plutôt, entre adultes, l’application de l’art. 198 al. 2 CP (Corboz, op. cit., p. 720 n. 7 ad art. 187). »
PS: vous ne devriez pas aborder ce sujet avec le ton de la bagatelle !
@Tiouk: 😉 pour la bagatelle. Comme quoi on peut faire de l’humour (scabreux) avec ce sujet. Comme vous le rappelez, il y a bien évidemment crime au sens du droit pénal suisse et je l’ai écrit. Mais, ce n’est pas pour autant un « abus ». Cela ne me paraît guère contestable que la loi protège les personnes considérées comme mineures sexuellement, même contre leur gré. Il peut en revanche y avoir débat sur l’âge. D’ailleurs, les peines en relation avec ce type d’infraction avaient été largement revues à la baisse lors de la révision de 1991, adoptée à une large majorité en référendum. C’était avant l’affaire Dutroux…
Le droit fixe une limite et les juges apprécient en fonction de cette limite. Prenons le cas d’un jeune homme de 20 ans et d’une jeune fille de 15 ans 11 mois et 29 jours qui fêtent avec un peu d’avance et d’empressement le 16ème anniversaire de la jeune fille. Le jeune homme commet l’infraction de l’article 187 CP. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. De là à qualifier l’auteur d’abuseur pervers et pédophile… Je me souviens d’ailleurs tout à fait d’un cas similaire dans la pratique où la commission de l’infraction n’avait entraîné aucun changement dans la peine prononcée (l’auteur ayant commis d’autres délits qui avaient plutôt un rapport avec des substances interdites qu’avec l’intégrité sexuelle).
Les rapports ambigus (sinon plus) entre des jeunes gens de presque 16 ans et des adultes ne sont pas une nouveauté. Le regard de la société s’est toutefois profondément modifié et c’est cela que je voulais mettre en évidence : on est passé d’une certaine tolérance – pour les relations librement consenties s’entend – à une intolérance absolue, comme si la vie avant 16 ans révolus n’était qu’un vaste désert sexuel.
Damien > Ce n’est pas parce qu’on parle de fille et de garçon que « jeune fille » est l’équivalent de « jeune garçon ». L’équivalent de « jeune fille » est « jeune homme », pas « jeune garçon », qui évoque un garçon (donc avant l’adolescence, voire même la pré-adolescence) et qui plus est jeune, donc largement avant le début de l’adolescence.
@François,
Je pensais candidement pour avoir entendu parler de « photos à caractère pédophile » que « pédophilie » faisait partie du vocabulaire de la justice française (ou suisse) et j’avais tort comme vous le soulignez ; la justice ne s’intéresse qu’aux actes ! Toutefois, des textes de loi peuvent utiliser le mot (et le définir) ; ainsi, la loi canadienne de 1997 sur la protection contre les pédophiles définit le pédophile comme « Personne qui a été déclarée coupable d’une infraction sexuelle concernant un enfant ou personne ayant fait l’objet d’une ordonnance d’interdiction conformément à l’article 161 du Code criminel (Canada, infraction sexuelle dont la victime est âgée de moins de 18 ans) ».
Cette définition est plus étendue que la définition médicale stricte qui définit le pédophile comme un « individu éprouvant une attirance sexuelle préférentielle ou exclusive pour les enfants pré-pubères ou dans les premiers stades de la puberté ». La consultation des dictionnaires et autres encyclopédies montre que la définition légale canadienne est en fait la définition usuelle du terme. Wikipedia dit par exemple « In contrast to the generally accepted medical definition, the term pedophile is also used colloquially to denote significantly older adults who are sexually attracted to adolescents below the local age of consent, as well as those who have sexually abused a child. » »
En conclusion, je suis d’accord avec vous pour dire que Mr Foley n’est pas un pédophile au sens médical strict du terme, mais si on considère la définition familière du mot, il n’est définitivement pas « grotesque » de parler de pédophilie dans son cas. On peut aussi noter que dans nombre de pays/Etats, l’âge de consentement (ou âge de maturité sexuelle, ça dépend) est souvent supérieur pour les relations homosexuelles (dans les cas où elles ne sont pas illégales) comparées aux relations hétérosexuelles. Ainsi, le gouvernement de l’Ouest Australien a fixé cet âge à 16 ans dans le cadre des relations hétérosexuelles mais à 21 pour les relations homosexuelles, et pour de nombreux états américains, il existe des provisions comparables. Cet âge est fixé à 18 ans pour bon nombre d’Etats… (http://www.ageofconsent.com/ageofconsent.htm).
Une dernière remarque concernant la « majorité sexuelle » : peut-être me suis-je mal exprimé en disant que ce terme est flou, mais sa définition juridique n’y change rien. Ce terme n’a pas à ma connaissance de définition claire, il est donné de façon totalement arbitraire comme correspondant à un âge, fonction du sexe du ou des protagonistes, du pays, des circonstances, et il n’y a aucune référence évidente à des données médicales…
@XIII,
Sans doute avez-vous raison puisque votre chiffre est inférieur au mien, mais mon esprit est ainsi tourné que pour moi, l’équivalent féminin de « jeune homme », c’est « jeune femme ».