Décriminaliser le déni de l’Holocauste
J’ai récemment fait allusion au malaise que je ressens à l’égard des législations européennes qui pénalisent le négationnisme à la manière d’un Robert Faurisson français ou d’un David Irving britannique et qui sanctionnent les discours racistes, sexistes, homophobes… Je n’osais pas encore formuler expressément l’idée que, pour redonner toute sa vigueur à l’idéal démocratique, il était nécessaire de revenir sur 20 ans d’amollissement politiquement correct et d’abroger ces législations. Mais dans sa chronique hebdomadaire dans le FT de samedi Christopher Caldwell (du Weekly Standard américain) instruit clairement la cause en l’illustrant principalement par l’exemple français:
- La loi Gayssot permet simplement à des extrémistes de se poser à bon compte en martyrs de l’anti-conformisme et offre à un Le Pen un accès garanti aux médias.
- L’historienne de gauche Madeleine Rebérioux avait mis en garde contre le danger que le précédent d’une vérité officielle à propos du génocide des Juifs ouvre simplement la porte à d’autres revendications du même type. Cela s’est vérifié avec le génocide arménien, la traite des Noirs, et bien sûr l’affaire du « rôle positif » de la colonisation.
- Caldwell cite de nombreux cas qui témoignent de l’extension du phénomène de judiciarisation du « politiquement correct »: l’universitaire Bernard Lewis, condamé en France pour refus de qualifier de génocide le massacre des Arméniens en Turquie; les plaintes contre Michel Houellebecq, Oriana Fallacci, Alain Finkielkraut; la tentative d’empêcher la parution de Charlie Hebdo avec les caricatures de Mahomet; la condamnation du député RPR Vanneste pour propos homophobes (la liste n’est pas exhaustive, il aurait aussi pu citer la condamnation d’Edgar Morin pour une tribune dans Le Monde sur le conflit israélo-arabe).
- Rappelant que l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, spécialiste respecté de l’esclavage, a lui aussi été sous la menace d’une plainte pour avoir exprimé dans une interview ses doutes sur la loi de 2001 à ce propos, Caldwell mentionne les pétitions « Liberté pour l’histoire » lancée par Pierre Nora, Michel Winnock et Mona Ozouf, et « La liberté de débattre », lancée par Paul Thibaud, qui réclament toutes deux l’abrogation des lois Gayssot et autres.
Caldwell signale de surcroît un important article du philosophe du droit Ronald Dworkin, paru mardi dernier dans The Guardian, qui en appelle à la Cour européenne des droits l’homme pour annuler ces législations (ce qui impliquerait une sérieuse révolution des mentalités):
Celui-ci, je renonce à le développer ici car il est intégralement en ligne.
Les Anglais n’ont pas de lois qui réprime le négationnisme. Si ma mémoire est bonne, C’est David Irving lui-même qui avait intenté un procès au civil pour ‘libel’ contre l’un de ses détracteurs et qui l’a perdu et cela lui a couté bonbon 🙂
Pour le reste, la loi dites Gayssot me semblent particulièrement utile, je vous renvoie à l’excellente page : Pratique de l’histoire et dévoiements négationnistes pour vous en convaincre.
Les poursuites intenté sur la base de la loi dites Taubira ne tiennent de toute façon juridiquement pas debout. la négation de crime contre l’humanité fait explicitement référence au jugement de Nuremberg, il n’y a donc aucune chance qu’aucune condamnation ne soit prononcé à son encontre sur cette base.
C’est à juste titre que B. Lewis fut condamné pour avoir refusé de qualifier le génocide contre les Arméniens pour ce qu’il était mais là encore ce n’est pas sur la base de la loi Gayssot.
Les autres plaintes évoqués n’ont aucun rapport, où alors à tout prendre pourquoi ne pas simplement abolir les textes qui réprimemt la diffamation depuis 1881. Les textes sur l’incitation à la haine raciale ne sont qu’une extension de la notion de diffamation appliquée à un groupe.
Peu importe que les négationnistes se posent en victimes ils est important que leur propagande haineuse soit sanctionnée par les tribunaux. Et contrairement à ce que certains prédisaient en leurs temps, la loi Gayssot n’a jamais empêché un historien sérieux de s’exprimer sur la question.
Je partage l’opinion du commentateur précédent. Il me semble que François Brutsch mélange trop allégrement ce qui relève du droit de la presse « classique » en droit français (la diffamation, par exemple) que le droit anglais ne connaît pas et ce qui relève du droit spécifique (et beaucoup plus récent) relatif aux prises de position sur les crimes contre l’humanité. Il ne faut pas oublier que pour le moment, seule la négation des crimes du nazisme est une infraction pénale.
Il est vrai que notre législation de façon générale traduit un autre état d’esprit que l’esprit anglais ou anglo-américain, sur la liberté d’expression. En l’état, cependant, notre droit semble plutôt donner satisfaction à l’ensemble des parties prenantes, surtout avec les modérations qu’apportent la procédure épouvantablement compliquée pour obtenir une condamnation et, désormais, la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’Homme.
@Xavier: merci pour ce site très précieux sur le négationnisme, même et surtout s’il faut le combattre sans le secours d’une loi. Ce qu’il indique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme confirme l’impression que j’avais que c’est bel et bien un revirement complet qu’attend avec un bel idéalisme Dworkin. Ne reste donc que la voie politique, et c’est au fond mieux ainsi.
@Paxa: personnellement, je ne crois pas qu’on peut qualifier de satisfaisant un droit qui déçoit les attentes excessives qu’il fait naître auprès de ceux qu’il prétend défendre, et offre les moyens de se mettre en valeur à bon compte à ceux qu’il prétend combattre…
« Le commentateur précédent » ne peut que constater que de toute évidence la bonne fée de l’orthographe ne s’est pas penchée sur son berceau et s’en excuse auprès de tous. [Entre-temps j’ai fait le nécessaire – François]
J’ajoute qu’en ce qui concerne Bernard Lewis il a été condamné – ainsi que je le soupçonnais – non pas sur la base d’une infraction à la loi sur la presse mais sur celui de l’article 1382 du code civil :
http://www.voltairenet.org/article14133.html
Le tribunal reprend d’ailleurs l’argument que j’avais invoqué au sujet de la loi Gayssot :
Dès lors la question est faut-il abolir l’article 1382 du Code Civil ?
Pour conclure en ce qui concerne les objections soulevées par les historiens ? J’observerai que pas plus qu’il n’appartient aux juges de dire l’histoire il n’appartient aux historien de faire la loi cette dernière responsabilité incombe aux politiques.
@François : Merci pour les corrections 🙂
Je partage entièrement l’opinion de François. Dans un état démocratique, la vision de l’histoire n’a pas à être dictée par les lois. Que la loi réprime l’incitation à la violence et à la haine, j’approuve, mais tout homme devrait pouvoir présenter sa vision de l’histoire, aussi absurde soit-elle, sans courir le risque d’être poursuivi en justice. Il existe déja une histoire officielle qui est celle enseignée dans les manuels scolaires, dont le contenu est visé/contrôlé par l’état… Mieux vaudrait développer l’esprit critique de tous les citoyens en autorisant tous les débats et en leur apprenant à discerner l’importance de la manipulation des faits historiques ou de leur présentation comme outil de propagande.
En ce qui me concerne, je suis sensible à l’argumentation de François et pas mécontent de le lire sous sa plume. Dans les derniers débats sur la liberté d’expression, j’ai 2-3 fois été tenté de relever ce qui ressemble à une contradiction dans le fait que certains s’accomodent fort bien de la loi contre les propos homophobes, restreignant la liberté d’expression même s’il ne s’agit pas de sa meilleur illustration, alors qu’en revanche, il leur paraissait tout à fait admissible d’offenser une personne en raison de sa croyance. La position de François prend ici toute sa cohérence.
Je n’ai pas osé le dire, compte tenu de mon étiquette, ne souhaitant pas envenimer le débat et subir tous les procès d’intention homophobe possibles. J’ai donc essayé de me dire que la religion est une opinion, une croyance, adoptée, tandis que l’orientation sexuelle est consubstantielle à la personne. Mais à vrai dire, je n’en sais fichtre rien.
Enfin bref, je risque de trop m’écarter de la question du jour. Si vous n’avez pas compris ma position, merci de me demander de l’éclaircir et non de m’agonir d’injures. Je ne fais que chercher à comprendre et à déterminer s’il y a contradiction.
En ce qui concerne la condamnation de Monsieur Lewi, il faut se méfier du réseau Voltaire : quand on est dirigé par le type qui prétend qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le pentagone et qui entretient les meilleurs relations avec des pays arabes dont le goût pour cette thèse est plus que douteux, on est loin d’être une caution morale !
En l’occurence, il est utile de lire l’ensemble de la décision qui, si elle condamne Mr Lewis, contient des attendus très intéressants pour la présente discussion, notamment :
Même si cet attendu est quelque peu atténué ensuite.
En l’occurence, je considère que l’on ne saurait interdire à Monsieur Lewis d’exprimer l’opinion qu’il a exprimé, quelle que soit notre opinion sur le génocide arménien. Au demeurant, il semble que c’est le qualificatif de « génocide » qu’il contestait, et non l’existence de déportations et de massacres. L’Histoire doit pouvoir être débattue. Et les tristes personnages tenus pour tels.
au sujet de la réponse de Koz :
Sur Bernard Lewis
La question était de savoir si l’on pouvait légitimement invoquer la loi Gayssot ou plus largement les lois dites mémorielles au regard de sa condamnation.
Or ici on ne peut que répondre par la négative. En effet il n’a pas été sanctionné au regard de la loi Gayssot ou de la reconnaisance du génocide arménien par l’Assemblée Nationale mais sur la base de l’article 1382 du code civil.
Supprimeriez-vous d’un trait de plume les lois dites mémorielles que sa condamnation n’en serait pas moins acquise au yeux du tribunal. Enfin ce n’est pas le réseau Voltaire qui a condamné B. Lewis mais bien le TGI de Paris et la décision a été simplement reproduite sur son site, l’argument – au sujet des facéties de Meyssan qui pratique un autre genre de négationnisme – me semble être en la circonstance hors sujet.
Coquin de sort pas plus tard qu’il y a quelques minutes Darvid Irving a finalement été condamné à trois ans de prison en Autriche pour des déclarations faîtes lors d’une conférence à une organisation d’extrême droite en Autriche en 1989, pays dont la législation est bien plus sévères que la notre en la matière voir l’article du Daily Mail.
Chez nous les délit de presse (Loi Gayssot, Loi Pleven etc) se prescrivent au bout de trois mois et les peines encourues sont plus faibles. Faurisson n’a jamais été embastillé et les peines de prison ne sont à ma connaissance réservée qu’au cas les plus pathologiques tel Guillonet – si je n’écorche l’orthographe de son nom – alias l’aigle noir. Encore une fois on ne me fera pas pleurer sur le sort des négationnistes, j’ai croisé le fer avec eux sur Usenet et ces gens relèvent selon les cas ou de l’asile ou de l’association de malfaiteurs mais ce sont tous sauf de doux dingues et leurs adeptes aux cranes rasés qui raisonnent à coup de batte de Baseball sont tout sauf inoffensif.
De toute évidence, le négationnisme en Autriche est réprimé par un tout autre dispositif. Notre régime en la matière bien qu’il ne soit pas sans rigueur n’en demeure pas moins très liberal pour ce qui est du de la liberté d’expression.
Quelles limites àƒÂ la libertàƒ© ?
Sur le thàƒ¨me de la libertàƒ© d’expression et des limites qui lui ont àƒ©tàƒ© imposàƒ©es en Europe, àƒÂ l’exemple des lois sanctionnant les discours nàƒ©gationnistes, racistes ou homophobes, je suggàƒ¨re de lire le billet consacràƒ© par FranàƒÂ§ois Brutsch àƒÂ ce…
Sur l’affaire Lewis: personnellement je n’ai pas d’état d’âme à considérer qu’il y a eu un génocide des Arméniens en Turquie; mais je peux aussi parfaitement comprendre qu’un universitaire spécialiste fasse des coquetteries ou ait une manière à lui de voir les choses, et je trouve assez vain de chercher à le normaliser. Je trouve surtout encore plus inquiétant que la créativité politique à inventer des infractions le fait qu’il se soit trouvé un tribunal pour valider un raisonnement aussi échevelé sur cet article du Code civil et condamner Lewis.
à€ abolir d’urgence, toutes ces lois. Ce qui vous pend au nez, c’est une législation contre le blasphème en général, et la loi Gayssot et celle contre les propos homophobes ont ouvert la porte au déferlement. Ces lois vous mettent en très mauvaise position morale et logique quand un islamiste vous dit: « Et pourquoi donc ne pas protéger l’image du prophète? » Et il a raison sur le fond, malgré toutes les arguties juridiques et factuelles qu’on peut lui opposer. Enfin, c’est votre problème, des lois aussi liberticides ne passeront jamais dans l’anglosphère où je m’ébats.
Thoughtcrime II
Regular readers of this blog will probably know that I have certainly no sympathies at all for negationists and Holocaust deniers. British historian David Irving has been sentenced to three years of jail in Austria for having denied the Holocaust. Th…
Ce billet me laisse très sceptique. L’argument de fond c’est que ces loi donneraient des armes aux extrémistes, qui pourraient grâce à elles se poser en victimes? Hein?
Pour moi c’est toute la limite du « pragmatisme » et de la logique de la responsabilité individuelle. Dans un monde idéal, votre idée est la bonne. Mais dans un monde idéal, il n’y a pas de racistes, d’antisémites, d’homophobes, de négationistes. Et dans ce monde-ci, où ils existent, un absence de contraintes à ce niveau, ce n’est pas une réponse pragmatique pour leur enlever une arme: non c’est une acceptation implicite de comportements qui ne doivent pas être acceptés.
Ils s’en servent pour se poser en victimes? Et alors? Qui écoutent vraiment ces discours victimaires? Leurs adeptes, déjà convaincus avant même qu’ils aient ouvert la bouche. Enlever ces lois n’y changera rien.
Il me semble vraiment que c’est le devoir d’un pays de rappeler par ses lois quelles sont les valeurs sur lesquelles il entend bâtir sa société. Et ce n’est jamais en débridant les pulsions les plus nauséabondes, car enlever ces lois c’est bien envoyer le message à ces gens: allez-y, le terrain est libre pour que vous disiez ce que vous voulez, qu’on peut défendre ces valeurs.
Maintenant qu’il y ait des dérives néfastes dans le cadre actuel, sans doute. Elles ne doivent d’ailleurs pas être les seules lois que des gens cherchent à détourner de leurs intentions initiales à leur profit. Mais ce n’est pas un argument pour les faire disparaître. Il s’en faut à mon avis de beaucoup.
@Pikipoki: Au fond c’est l’oeuf et la poule… Avant que ces lois existent, on peut discuter, mais une fois qu’elles sont là il faut les garder car sinon on expédie un mauvais signal? Mais je crois que c’est plus par pragmatisme que par libertarisme doctrinaire que j’en arrive là : après tout, lorsque nous avons voté en Suisse (en 1993) j’avais fini par voter « oui » quand bien même, quelques années plus tôt, j’avais publié un article opposé à ce type de législation. Mais à l’usage les inconvénients me paraissent largement l’emporter:
Quant aux déclarations sur les valeurs de la société, je ne crois pas que le droit pénal soit la voie appropriée: une résolution solennelle, une journée commémorative, me semblent des instruments plus utiles. Je note à ce sujet que si le Royaume-Uni n’a pas de loi contre le négationnisme, il a un impressionnant Holocaust Memorial Day depuis 2001.