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News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

La liberté d’expression entre blasphème et courtoisie (I)

La Cène de Marithé Girbaud (ou même le Da Vinci Code de Dan Brown, et encore avant cela La dernière tentation du Christ de Scorsese), les caricatures danoises de Mahomet, la soupe au lard des Identitaires, la loi britannique visant à  combattre l’incitation à  la haine religieuse (qui vient d’être adoptée dans une version moins draconienne que ne le souhaitait le gouvernement)… Le débat sur les limites de la liberté d’expression est toujours ouvert, le combat pour faire comprendre et respecter cette dernières est toujours à  recommencer.

L’affaire de la soupe au lard est peut-être moins connue, plus localisée: c’est une provocation hivernale d’une frange xénophobe française, sur l’air populiste bien connu « Et la solidarité avec les gens de chez nous? », sous-entendu chrétiens qui n’ont pas d’inhibition à  manger du porc (et autre sous-entendu: comme si les Restos du Coeur et autres formes de soupe populaire traditionnelle les oubliaient pour privilégier les immigrés musulmans). Des préfets, des manifestants, Le Monde se sont émus dans leur registre respectif. Paxatagore en a fait un billet qui a donné lieu à  un riche débat dans lequel j’ai mis mon grain de sel… Le réflexe d’appel à  l’interdiction étatique, comme la seule condamnation politico-morale, me semblent de mauvaises réponses (alors que l’action directe consistant à  mette au défi l’extrême-droite de servir sa soupe à  des basanés non-musulmans ou non-pratiquants me semble tout droit tirée du Manuel de l’animateur social de Saul Alinsky).

Les réactions à  la publication, il y a maintenant quelques mois, de caricatures du prophète Mahomet par un journal danois, le Jyllands-Posten, reprise plus récemment par un journal norvégien (et aujourd’hui par France Soir, ce que le gouvernement français s’est empressé de déplorer!), posent des questions bien plus inquiétantes (voir cet impressionnant dossier de la Wikipedia):

  • sur les manoeuvres d’intimidation et de contrainte auxquels se prêtent des Etats qui feignent d’ignorer des notions élémentaires comme la séparation entre l’Etat et la société civile et le droit individuel à  la liberté d’expression au Danemark et en Norvège pour exiger, de la part des autorités politiques, des excuses et des restrictions de la liberté d’expression, mesure de contrainte économique (sous la forme d’un boycott) et manoeuvre diplomatique (sous la forme de l’appel à  une législation internationale) à  l’appui;
  • mais surtout sur l’engourdissement des esprits (en d’autres temps et avec d’autres connotations, j’aurais parlé de finlandisation) dont témoignent ceux, en Europe, qui sont déjà  prêts à  la contrition, alors qu’il y a au contraire lieu de se mobiliser contre cette attaque frontale envers l’héritage des Lumières qui est au coeur de la démocratie. Voir à  ce propos un autre débat auquel je me suis mêlé à  la suite de deux billets de Phersu.

Celles et ceux qui déplorent les provocations, en appellent à  la compréhension et au respect mutuel voire souhaitent que les athées mettent une sourdine à  leur conviction dans l’intérêt de la paix civile sont complètement à  côté de la plaque. A titre individuel, bien sûr, je suis comme eux: cela relève de la plus élémentaire courtoisie réciproque dans les relations interpersonnelles. Mais cela n’a rien à  voir avec l’attitude à  opposer à  qui prétend imposer politiquement ce qui résulte de ses convictions religieuses (que cela soit le Vatican ou la Conférence islamique). Encore faut-il pour cela ne pas se laisser dominer par une haine de soi qui relève de la dépression collective, et réaliser que la liberté, l’économie de marché et la démocratie sont des valeurs de base dont il n’y a pas à  avoir honte et qu’il faut réaffirmer constamment. Achetons danois!

Lorsque le gouvernement Blair a proposé son projet visant à  compléter le dispositif légal qui déjà  réprime l’antisémitisme (mais c’est au nom de la lutte contre le racisme), le négationnisme ou l’homophobie par une pénalisation de l’incitation à  la haine religieuse, j’étais partagé: mon réflexe libertaire en matière de liberté d’expression (je ne suis pas un fan des dispositions contre l’expression d’opinions racistes ou homophobes qui sont maintenant généralisées en Europe tant nous sommes frileux devant le conflit ouvert, révulsés par ce qui se passe aux Etats-Unis où l’ACLU défend le droit de nazis à  défiler et où des milieux fondamentalistes sont habilités à  manifester leur joie aux abords de l’enterrement de victimes du sida ou de crimes homophobes) était balancé par la compréhension qu’il était nécessaire de donner à  la population musulmane britannique un signe qu’elle fait pleinement partie de la collectivité nationale, afin de bien marquer la différence entre elle et la lutte contre le terrorisme islamique. Mais je me suis rapidement convaincu, avec Mr Bean (Rowan Atkinson), Norman Geras ou Harry’s Place, que ce geste prêtait aussi à  une toute autre interprétation et à  un tout autre usage, préparant des réveils douloureux. Je ne serais pas surpris que les menaces anti-occidentales de ces derniers jours aient en fin de compte dopé la résistance des défenseurs de la liberté d’expression même en matière religieuse.

Voir aussi ce billet ultérieur

COMPLEMENT DU 02.02 à  14h: Si vous ne croyez évidemment pas que la modération et la hauteur de vue peuvent s’exprimer par le clavier d’un militaire qui planifie par ailleurs sur son blog une attaque préventive de l’Iran, lisez ceci!

10 commentaires

  1. 1 février 2006

    Et votre soeur, François, elle est à  côté de la plaque ? 😉

    Je n’ai aucune difficulté ni réticence à  défendre mes propres valeurs, et les valeurs occidentales. En revanche, je pense que l’occident se grandit en ne faisant pas un usage dévoyé de sa liberté d’expression.

    Lorsque l’on caricature le prophète Mahomet, on sait d’avance que les musulmans percevront cela comme une offense.

    Les dessinateurs, et le journal danois, ont choisi d’offenser les musulmans. En soi, je trouve déjà  le choix critiquable.

    Ils ont en outre choisi de de prendre ce risque dans un contexte international (même en septembre) particulièrement tendu entre le monde occidental et le monde arabe.

    Certes, les réactions du monde musulman sont particulièrement excessives (ce que j’ai également écrit, mais, même écrites, les « précautions » sont ignorées) et je les « condamne » aussi – notamment le fait d’attendre du gouvernement danois qu’il sanctionne les journalistes- mais à  tout prendre, je n’ai pas envie de me ranger derrière ceux qui ont choisi l’inutile et absurde offense.

  2. Assimilé
    1 février 2006

    Il fût sans doute un temps, une époque, un lieu, ou lire la presse devait être un moyen fort commode de s’informer tout en perfectionnant sa maîtrise des formes de la langue. Pour puérile qu’elle est, la poursuite de la perfection dans les formes exprime par elle-même le respect qu’on témoigne à  autrui : et puisqu’il arrive qu’on en vienne à  rencontrer de par le vaste monde des personnes dont on ignore les usages, les protocoles, il sied, à  défaut de mieux, d’employer les siens, et de compter sur l’élégance résultant de leur polissage à  l’épreuve de maintes épreuves pour exprimer le respect dû à  l’autre, cet inconnu.

    Il est vrai qu’on peut aussi chier à  la gueule de ceux qu’on ignore et qu’on juge du haut de ses propres préjugés, à  l’aide de ces grandes idées qui sont les seules à  même de séduire les petits esprits. Mais voir France-soir répéter l’exploit le jour même de la sortie du troisième opus des « bronzés » a un petit côté comique propre à  réveiller les zygomatiques du plus tristounet.

    Et pourtant, ils votent.

  3. 2 février 2006

    Pour info, le directeur de France-Soir a été limogé par le propriétaire en « signe fort » de respect des convictions et des croyances de chaque individus.

    Je trouve cela scandaleux, je n’ai pas le temps de développer, j’y reviendrai.

  4. Alex
    2 février 2006

    Le propriétaire de France-Soir et les personnes choquées manquent surtout d’humour. Jusqu’à  preuve du contraire, la caricature est destinée à  faire rire; c’est un moyen d’expression léger. On est par exemple à  10’000 lieux du révisionnisme, qui prétend être une théorie historique sérieuse. Ca ressemble plutôt à  un procès qu’on ferait à  Desproges, à  Coluche ou à … Dieudonné (même s’il n’est pas drôle, c’est un humoriste). Cela justifie à  mes yeux une liberté encore moins limitée.

  5. ondine
    2 février 2006

    Etienne tu as raison c’est scandaleux! et encore il aura de la veine si il finit pas comme theo vangogh ! Dhimmission de la france et de l’europe! je suis dégouttée!

  6. Oecumène
    2 février 2006

    Pauvre Momo, qu’est-ce qu’on lui fait dire. Entre les invitations à  tuer les croisés, les feujs, les jambons, les français, etc… ce n’est plus de l’intimidation, c’est une croisade en règle. Autres temps, même moeurs.

  7. 3 février 2006

    Polémique mahométanes.

    L’affaire des caricatures de Mahomet a maintenant quasiment fait le tour de la blogosphère (en tout cas celle que je lis). Il y a quelques points qui me semblent peu abordés que je voudrais verser au débat: On peut faire plusieurs reproches

  8. Damien
    4 février 2006

    Jack Straw a la même position que le gouvernement français et dénonce aussi la reproduction des caricatures controversées: « Je pense que la nouvelle publication de ces caricatures n’était pas nécessaire. Elle a été indélicate, témoigne d’un manque de respect », ou encore « Il y a la liberté de la presse, nous la respectons tous. Mais il n’y a pas d’obligation d’insulter ou d’être gratuitement incendiaire ». ( http://www.la-croix.com/afp.static/pages/060203135639.gdtzfttj.htm ) Ceci dit, j’aurais tendance à  rejoindre François 100% si on considère le recul de la liberté d’expression qui se profile à  l’horizon si des lois interdisant la blasphémie sont votées. J’estime avoir le droit et parfois même le devoir de dénoncer des croyances que je juge ridicules même si ce faisant j’offense les individus appartenant au groupe religieux qui les professe.

  9. 5 février 2006

    caricatures et blasphèmes

    Le retour du religieux dans le politique est un défi pour la laïcité.

  10. 8 février 2006

    The Continent, an island?

      L’affaire des caricatures semble prendre une certaine ampleur. Je ne compte nullement intervenir dans le dàƒ©bat libertàƒ© d’expression vs respect du fait religieux; c’est un sujet bien dàƒ©licat dans lequel il est difficile de tenir une…

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