Le revers de Blair sur la législation anti-terroriste
Le refus mercredi d’une disposition de la législation anti-terroriste proposée par le gouvernement Blair illustre l’une des perversions du régime politique fondé sur la confrontation exacerbée entre majorité et opposition: la tentation de marquer un point contre le gouvernement au détriment de l’objet lui-même. C’est la seule explication que l’on peut donner à la discipline plus forte que prévu des parlementaires conservateurs pour voter de manière opportuniste contre une mesure sécuritaire réclamée par la police… De sorte que le vote contre le gouvernement d’une minorité travailliste composée, outre quelques originaux adoptant une position libertaire de manière conséquente, principalement d’adversaires de Blair à titre personnel ou idéologique, a suffi à entraîner le rejet de la disposition. Une péripétie peu glorieuse donc.
Il est dès lors regrettable que les médias se soient souvent laissé aller à présenter cela comme un conflit honorable entre la défense des libertés et la sécurité publique. Le Monde, en particulier, qui parle dans tous ses articles de « garde à vue », induit ses lecteurs en erreur. Le système pénal anglo-saxon est très différent du modèle continental: il est beaucoup plus exigeant à l’égard de l’autorité. En Suisse ou en France, il n’en faut pas beaucoup à la police pour arrêter un individu, puis à un juge d’instruction pour obtenir son maintien en détention, quitte à finir par le relâcher des mois plus tard sans qu’il passe en jugement. Le système anglo-saxon ne connaît pas le juge d’instruction et exige de la police qu’elle présente un dossier solide avant toute inculpation, à défaut de laquelle elle doit libérer le suspect (et ultérieurement, la pusillanimité avec laquelle ce qui tient lieu de Parquet, le Crown Prosecution Service, renonce à poursuivre la procédure faute de preuves suffisamment absolues pour obtenir une condamnation par un tribunal, peut susciter l’admiration quand elle n’inquiète pas un peu). C’est dans ce cadre-là qu’il était question de porter (à l’essai pour une année: on aurait pu vérifier concrètement si la police avait abusé de son nouveau pouvoir) de 14 à 90 jours le délai à disposition de la police (dans les affaires de terrorisme exclusivement), alors qu’elle n’a que ce laps de temps pour exploiter du matériel complexe (informatique par exemple) que sur le continent le juge d’instruction a tout son temps pour étudier…
Pas tellement d’accord avec vous. Sur le continent, il ne subsiste plus de juge d’instruction que dans quelques pays : Suisse, Belgique, France, Espagne. Rien n’interdit aux britanniques de s’inspirer des exemples continentaux pour permettre à un juge d’ordonner l’incarcération provisoire d’un suspect, par exemple au bout de quatre jours de garde à vue, quitte à permettre que par la suite il soit réentendu par la police. Accessoirement, c’est ce qu’exige la convention européenne des droits de l’Homme.
Je crois que la différence c’est surtout le niveau d’exigence: là où le juge continental ordonnera l’incarcération, puis prolongera régulièrement sans sourciller, le juge britannique ordonnera la libération impitoyablement. Le passage d’un système à l’autre exige un changement de culture qui ne se décrète pas, et je ne suis pas sûr que les Britanniques y gagneraient vraiment…
Le niveau d’exigence peut très bien faire l’objet de règles écrites (c’est le cas en France). Il peut exister une procédure qui permet à la police de voir décerner un mandat de dépôt (c’est-à -dire écrouer un individu) au vu d’éléments « de nature à laisser présumer sa participation à des infractions terroristes »), le mandat devant être réexaminé régulièrement. Les juges font ce que le législateur leur dit, en règle générale !
« C’est la seule explication que l’on peut donner à la discipline plus forte que prévu des parlementaires conservateurs pour voter de manière opportuniste contre une mesure sécuritaire réclamée par la police… »
Oh, vraiment? Et le fait que ni Blair, ni Clarke n’ont été capables de démontrer la véritable utilité d’une extension à 90 jours, autrement qu’en disant que c’est ce que la police voulait? Ce qui, dans un régime parlementaire fonctionnel (autrement dit : pas la France) est notoirement insuffisant pour justifier une restriction des libertés publiques. Le gouvernement avait la charge de la preuve. Il ne l’a pas apportée. Il a perdu. C’est aussi simple que cela. Et il faut s’en réjouir.
Autre chose : l’idée selon laquelle le système judiciaire britannique prendrait systématiquement et de façon excessive le parti des suspects contre celui des forces de police est plus que contestable.
« Judicial scrutiny has made Labour’s policies more palatable. Whether the judges have been a force for restraint is less clear. They approved the continued detention of most of the foreign terror suspects interned after 2001. In only 2% of cases do magistrates refuse police requests to hold ordinary criminals for an extended period without charge. The judges’ dilemma is the same one faced by politicians: they are reluctant to second-guess the police and intelligence officers. » http://www.economist.com/opinion/PrinterFriendly.cfm?story_id=5149585