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Genève sur Spree? Pour une grande coalition à  la genevoise

Le quotidien Le Temps publie ce jour, dans sa page Opinions, un texte de votre serviteur… pour lequel ce billet a largement servi de galop d’essai.

Genève sur Spree? Pour une grande coalition à  la genevoise

François Brutsch, consultant, ancien député socialiste, estime que l’éviction de la gauche de rupture donne l’occasion de mettre en place une grande coalition pour temps de crise à  Genève

Angela Merckel arrive à  la Chancellerie fédérale à  Berlin, Martine Brunschwig Graf quitte la Tour Baudet, siège du Conseil d’Etat genevois: mais ce n’est pas seulement leur vague ressemblance physique et politique qui incite à  rapprocher le résultat des élections parlementaires allemandes et genevoises. La manière de répondre à  une même situation — un Parlement sans majorité pour la coalition de droite ou de gauche — illustre, certes, la différence fondamentale entre une démocratie purement représentative et un régime de démocratie directe. Mais elle présente aussi une leçon dont Genève pourrait s’inspirer.

En Allemagne, c’est le groupe de la gauche de rupture (54 députés) qui empêche tant la coalition de la droite (287 députés CDU-CSU et FDP) que celle de la gauche réformiste (273 députés SPD et Verts) d’accéder à  la plénitude du pouvoir. A Genève, tant l’Entente (47 députés libéraux, radicaux et démo-chrétiens dans la précédente législature) que l’Alternative (43 députés socialistes, Alliance de gauche et verts), espéraient franchir le seuil psychologique de 50 sièges dont les privait l’UDC et ses 11 députés; mais depuis le 9 octobre l’Entente reste à  47 députés, l’Alternative se trouve réduite à  sa composante réformiste avec 33 sièges, et c’est la faction populiste qui a raflé la mise, les 9 élus du Mouvement Citoyens genevois venant s’ajouter aux frères ennemis de l’UDC (toujours11). L’Alliance de gauche a implosé sous l’effet du facteur Grobet moyennant une chiquenaude de la liste rétro-chic Les Communistes, laissant 15% de l’électorat non représenté au Grand Conseil.

Le régime parlementaire a trois manières éprouvées de résoudre une telle équation: le gouvernement minoritaire, qui suppose la tolérance de l’opposition (c’est ce qu’ont espéré un moment Gerhard Schröder et Joschka Fischer); l’élargissement de l’alliance de base sur sa marge (les appels au FDP à  rejoindre Schröder, aux Verts à  rejoindre Merkel) et, sinon, la Grande Coalition: le partenariat gouvernemental de raison, par pur sens des responsabilités et non par affinité idéologique, entre les deux partis principaux, fondé sur un contrat précis et détaillé au terme duquel la compétition reprendra.

Mais le système politique suisse est singulier. Le rôle conféré aux citoyens dans le fonctionnement de l’Etat par le référendum (obligatoire ou facultatif) et l’initiative populaire place tant le parlement que le gouvernement sous contrôle permanent. Rien ne sert de conclure des contrats de législature entre partis: ils ne lient pas le peuple (que rien n’oblige au surplus à  être cohérent dans ses votes). C’est ainsi qu’a progressivement émergé, tant dans les cantons qu’à  Berne, la pratique de la «coalition gouvernementale la plus large possible», sans accord préalable, sans même de discipline ultérieure, entre tous les partis suffisamment respectables et responsables pour partager ce qui est, plus qu’ailleurs, un fardeau avant d’être un pouvoir; en Suisse, il serait impensable qu’Angela Merkel n’associe pas aussi le FDP et les Verts à  son gouvernement.

Ce mécanisme complexe, actionné en définitive par une «main invisible», a fonctionné admirablement pendant des dizaines d’années; à  Genève, il a pourtant épuisé sa force propulsive. Le blocage remonte maintenant à  plus de trois législatures. Son révélateur a été l’acceptation traumatique par le peuple de l’initiative «pour un audit général de l’Etat» du comité populiste «Halte aux déficits», malgré l’opposition résolue du gouvernement (alors monocolore de droite), du parlement et de tous les partis, qui portent la responsabilité de l’avoir permise par leur attentisme et leurs querelles: crise des finances publiques, mais aussi, voire surtout, crise de l’Etat. Seule la prospérité générale jointe au caractère toujours plus négligeable du cadre politique cantonal face aux mouvements profonds de la société, et aux pouvoirs européen et fédéral, l’empêche d’avoir des effets plus négatifs. Mais l’augmentation de la dette pèse tant sur l’économie que sur la marge de manœuvre future de la collectivité, vers la gauche comme vers la droite.

La nouvelle éruption populiste sonne comme un avertissement, et l’éviction (toute provisoire) de la gauche de rupture du parlement, qu’elle paralysait, est au fond une chance qu’il serait fou de laisser échapper. En vérité Genève a l’occasion rare de mettre en place une sorte de Grande Coalition pour temps de crise. Au lieu de laisser un gouvernement composite se limiter à  gérer la boutique, gauche réformiste et droite libérale pourraient, pour l’exception d’une législature, conclure un accord formel et détaillé de compromis réciproques en vue d’assainir les finances publiques, réformer l’Etat et actualiser des institutions définitivement obsolètes. Que, dans un tel cadre, le parti libéral non seulement renonce à  revendiquer ou soutenir, mais s’engage activement à  combattre tout démantèlement (véritable) de la fonction publique; que les socialistes acceptent et défendent des économies raisonnables dans les prestations sociales, que les Verts consentent à  soutenir un marché du logement plus dynamique, voilà  qui transformerait le paysage politique. Et en 2009, chacun retrouverait sa liberté, ses alliés naturels, dans un jeu politique à  nouveau fluide au service de l’intérêt public et de la démocratie.