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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

L’Europe (ne) veut (que) la paix, l’Amérique la liberté

Etonnant Bush! Il s’était véritablement révélé, transformé, après le 11 septembre 2001, mais j’avais l’impression qu’il avait maintenant plus ou moins achevé sa « mission historique » avec la recomposition démocratique en cours du Grand Moyen Orient (même s’il restera encore beaucoup à  faire pour les années, voire les dizaines d’années, qui viennent). Ayant solidement posé, avec sa réélection puis dans son discours d’investiture et dans le discours sur l’état de l’Union, les fondements de la doctrine qu’il a définie, on aurait pu s’attendre à  ce qu’il se contente de gérer la fin de sa présidence. Eh bien non, il poursuit et trace plus profondément son sillon. Le voyage qu’il effectue en Europe, la signification qu’il a voulu lui donner, témoignent de la poursuite d’une ambition supérieure: rappeler que la fin de la deuxième guerre mondiale n’a pas représenté la libération de toute l’Europe, puisque les Etats baltes avaient été annexés par l’URSS à  la faveur du pacte germano-soviétique; souligner que les pays de l’est étaient passé de l’oppression nazie à  l’oppression communiste et n’ont connu leur libération qu’à  partir de 1989-1991; et témoigner très concrètement de sa solidarité avec sa visite en Géorgie et son appel à  renverser « la dernière dictature d’Europe » en Biélorussie.

Il ne faut pas se dissimuler la part d’autocritique dans le discours et l’action de Bush (aujourd’hui à  propos de Yalta, précédemment à  propos de la politique d’accomodement avec les dictatures « amies »). Au demeurant, la différence de perspective de part et d’autre de l’Atlantique s’inscrit dans une grande continuité historique. Lors de leur entrée en guerre, ce sont les Etats-Unis qui ont imposé aux alliés et l’ONU (qui devait à  la fois être plus forte, plus interventionniste, et promouvoir plus activement l’universalisme démocratique que cela ne s’est réalisé) et la décolonisation (qui déplaisait tant à  Churchill qu’à  de Gaulle).

Après la guerre, lorsque l’Europe s’est rapidement trouvée divisée, c’est grâce à  l’Amérique que l’ouest a résisté à  la menace soviétique, puis par elle que l’espoir a été entretenu de l’autre côté du rideau de fer; l’Europe de l’ouest, elle, ne se préoccupait au fond que d’elle-même, s’organisant sans aucune référence à  cette partie coupée d’elle-même (même la réunification allemande tenait plus de l’incantation rituelle que du projet concret, particulièrement avec l‘Ostpolitik de Willy Brandt, et il s’est même trouvé au sein du SPD des réticences pour l’accepter lorsque Kohl a saisi l’occasion, car cela allait bien évidemment mettre en question des « avantages acquis »). Les tentations diverses de la finlandisation, du neutralisme et de ce qui était une autre « troisième voie » relevaient de l’acceptation définitive de l’état de force, comme le défaitisme, la politique d’apaisement avaient suivi le traumatisme de la première guerre mondiale. Le Pacte d’Helsinki créant l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à  l’initiative de l’Union soviétique, a été un coup de dé risqué qui doit aux militants des droits de l’homme des deux côtés du rideau de fer et surtout à  Reagan d’être finalement tombé du bon côté. Et tout l’édifice de la construction européenne elle-même n’était-il pas construit sur l’idée de la permanence du rétrécissement de l’Europe à  son extrêmité ouest? C’est peut-être un élément du malaise d’aujourd’hui sur le traité constitutionnel: peut-il vraiment être à  la fois le dernier avatar d’une idée dépassée et le socle d’une idée renouvelée de l’Europe?

Après le refus maladroit du Parlement européen d’honorer comme il aurait fallu l’anniversaire du massacre de Katyn perpétré par les forces soviétiques en Pologne, une déclaration de son président a tenté de dépasser le discours béat sur la paix après la guerre pour intégrer aussi la mémoire des nouveaux membres; mais se proclamer un rôle universel (« paix, justice et tolérance » — la liberté et la démocratie ne sont qu’implicites si elles ne sont pas carrément subordonnées à  ces « valeurs », mais visiblement ce qui compte c’est la « prospérité de tous (l)es citoyens » européens, dont contrairement à  Bush on ne précise pas qu’elle repose en dernière analyse sur la liberté de tous). Mais dans la libération des pays de l’est, les Etats d’Europe occidentale n’ont fait qu’improviser en fonction des circonstances, faire moins aurait été honteux (et l’on ne peut exclure que certains en aient eu la tentation, je pense au curieux projet de Confédération européenne lancé un temps par François Mitterrand et aux réticences de Margaret Thatcher sur la réunification allemande). L’Union européenne a été à  la traîne dans les Balkans (encore une fois, il a fallu que Clinton s’en mêle), elle a hésité sur la Géorgie ou sur l’Ukraine, on ne l’entend toujours guère sur la Biélorussie et la Russie…

Oui, l’Europe peut remercier Bush de la confronter, de manière lucide et solidaire, à  ses responsabilités face à  son passé comme vis-à -vis de son avenir.

COMPLEMENT DU 10.05: Ajouté le le lien vers le discours de Bush à  Tbilissi.