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Attali et l’identité française

Jacques Attali est l’un de ces intellocrates qui sont une spécialité française: un pied dans l’Université, un pied dans la politique, un pied dans l’édition, un pied dans l’économie… Il n’a certes pas laissé le meilleur souvenir à la présidence de la Banque européenne de reconstruction et de développement, mais auparavant il en avait eu la judicieuse intuition et l’avait faite partager à Mitterrand. Il y a peu de sujets sur lesquels il n’a pas quelque chose d’original et de fulgurant à dire.

Et puis d’autres fois il faut simplement éclater de rire. Invité à jouer les oracles en conclusion d’un supplément du Monde des 4 et 5 janvier sur 2004 – L’année du rebond [pdf | 4,26Mo], il déclare (dernière page):

« Regardez les Etats-Unis: on y parle l’anglais et l’espagnol. Ils n’ont plus de langue. Ils sont perdus de l’intérieur. C’est Babel. »

On retrouve le fantasme très français de l’Amérique comme colosse aux pieds d’argile, toujours au bord de l’effondrement — ici en contrepoint d’une analyse tournant le dos au discours universaliste qui, depuis la Révolution, prétend faire de la France une nation par volonté (l’adhésion aux principes de la laïcité républicaine), aux antipodes d’un pangermanisme qui fonderait l’identité nationale sur la langue et le sang:

« Qu’est-ce que la France? C’est un espace de protection juridique et social, et c’est une langue. L’identité française, c’est la langue bien plus que le territoire. La langue d’un peuple est la colonne vertébrale de son identité et la clé de l’intégration de ses étrangers. (…) En France, la prochaine pression communautariste [après le voile islamique] consistera à exiger des formulaires administratifs en langue étrangère, des cours dans les langues des élèves, etc. Ce sera une bataille majeure. »

Manifestement, Attali ne parle pas que de l’identité culturelle francophone mais bien d’identité nationale avec la notion politique, étatique qu’elle comporte. Lorsqu’il vivait à Londres il a pourtant dû remarquer que les formulaires administratifs, justement, sont effectivement disponibles dans un grand nombre de langues étrangères (de même qu’en braille, en gros caractères ou en cassettes audio…). L’intégration m’y paraît fonctionner bien mieux qu’en France.

Ce qui est aussi un mystère pour moi, c’est comment cette profession de foi se concilie avec l’appel au fédéralisme européen, en commençant par l’union franco-allemande, qui figure dans la même interview. Il me semble qu’il aurait justement plaidé pour faire la distinction entre les différents niveaux d’identités, nullement incompatibles les uns avec les autres, et pour l’atténuation du nationalisme linguistique; mais c’est peut-être plus facile pour le ressortissant d’un Etat multilingue et sans prétention universaliste (encore que…).

COMPLEMENT DU 6 JANVIER: Au demeurant, loin de moi de nier que l’intégration passe par l’apprentissage obligatoire de la langue (et je me doutais bien que le discours universaliste sur la nation était parfaitement artificiel)! Mais cela nécessite des mesures positives (un effort intensif tant sur les enfants que sur les parents, dès l’arrivée) plus que des interdictions d’utiliser — aussi — la leur.