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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Routine de la démocratie directe

Le Royaume-Uni est la patrie d’élection de la démocratie représentative: le citoyen n’a voix au chapitre que pour la désignation d’une unique personne dans sa circonscription tous les 3 à 5 ans, dont découlent le parlement, le gouvernement et les juges. C’est peu dire que le fédéralisme (comme on se refuse ici à appeler l’organisation d’une répartition des compétences entre le parlement de Westminster et ceux qui ont été établis en Irlande du Nord, en Ecosse et au Pays de Galles, d’une part, celui de Bruxelles/Strasbourg, d’autre part) y suscite l’incompréhension plus encore que la méfiance: quand la Chambre des Communes est appelée « mère des parlements », je me demande si ce n’est pas aussi parce qu’elle est de la variété abusive, qui veut toujours que rien ne lui échappe et que tout procède d’elle…

Il en va de même pour la démocratie directe, identifiée ici à la dernière tentative populiste de la BBC: construire un projet de loi en forme de Pop Idol (ou de Star Academy – pour les francophones), qu’un député travailliste naïf ou en mal de publicité avait accepté par avance de présenter formellement au parlement. Il croyait se retrouver avec un projet bien pensant favorisant la mise à disposition d’organes pour les transplantations ou limitant la commercialisation de Noël est s’est retrouvé avec une demande populaire (enfin, n’exagérons rien: 26’000 téléphones) de lever les limitations à la légitime défense en cas de violation de la propriété privée…

La Suisse est un pays dont on peut dire que ce qui construit son identité, par delà sa multiculturalité germanique, francophone, italophone et romanche, c’est l’attachement au fédéralisme et à la démocratie directe. Si le fédéralisme est un élément constitutif de l’Etat (qui s’est formé par agrégation d’entités préexistantes, même si d’autres ont été des créations volontaires sous l’impulsion de Napoléon), les institutions de la démocratie directe (la récolte de signatures contraignant les autorités à soumettre au vote populaire un projet) ne remontent, elles, qu’à la fin du 19e siècle.

Entre l’enfer populiste et le nirvana rousseauiste, c’est d’abord une lourde routine. Au prix de quelques simplifications qui gomment les exceptions et cas particuliers qui indubitablement existent, je dirais que le citoyen suisse:

– élit tous les quatre ans au scrutin proportionnel les députés de son canton à la chambre basse du parlement fédéral, et au scrutin majoritaire deux sénateurs à la chambre haute; ce sont les deux chambres qui élisent ensuite les sept membres du collège gouvernemental;

– élit tous les quatre ans (à une autre date) au scrutin proportionnel le parlement de son canton et au scrutin majoritaire les sept personnes qui formeront l’exécutif cantonal;

– mais surtout, participe quatre fois par an à une « votation populaire » portant (allez, pour la beauté de la démonstration) sur en moyenne quatre objets fédéraux et cantonaux;

– certains de ces objets auront été mis au programme parce que notre citoyen lambda aura (plus ou moins distraitement) donné sa signature à la sortie d’un supermarché ou (c’est le mouvement perpétuel) à l’entrée de son bureau de vote…

Les dates des votations sont déjà retenues jusqu’en 2020 (de nos jours cette date est en réalité celle de la proclamation du résultat, le vote lui-même se déroule principalement par correspondance — et bientôt par Internet — dans les trois semaines qui précèdent). C’est pourquoi, pour le prochain scrutin (8 février), la campagne est visible depuis plusieurs semaines déjà dans les journaux, sur les panneaux d’affichages et dans les boîtes aux lettres (le porte-à-porte, ou « canvassing », si important et systématique pour les élections en Grande-Bretagne, est inconnu en Suisse); et les partis fédéraux arrêtent ces jours leurs mots d’ordre.

Voyons le programme de la votation du 8 février, qui présente un bouquet particulièrement complet! Il y a trois objets fédéraux et, à Genève, trois objets cantonaux, présentés dans des brochures envoyées par les autorités à tous les citoyens avec leur bulletin de vote:

– CH: un objet de politique nationale des transports: le contreprojet (qui se veut un compromis entre les tenants de la route et ceux du rail) adopté par le Parlement fédéral à la suite d’une initiative populaire déposée en 2000 par le lobby automobile (retirée par ses auteurs), sous la forme d’une modification de la Constitution fédérale à laquelle est attaché un programme financier;

– CH: un objet de politique du logement: une modification du droit du bail a fait l’objet d’une demande de référendum des milieux de locataires (seuls 20% de la population sont propriétaires de leur logement);

– CH: une initiative populaire déposée en 2000 par un comité hors-partis à la suite de plusieurs cas de récidive ayant soulevé l’émotion, instituant l’internement à vie sans rémission pour les délinquants sexuels jugés dangereux et non amendables;

– GE: un contreprojet diminuant la charge fiscale en cas d’acquisition d’un logement, en réponse à une initiative populaire (retirée) déposée par les milieux immobiliers;

– GE: une loi assouplissant les restrictions sur la vente d’appartements adoptée par la majorité de droite (+ les Verts) du parlement, soumise au vote à la suite d’une demande de référendum des milieux de locataires;

– GE: une loi supprimant l’impôt sur les successions pour les conjoints et les parents au premier degré adoptée par la majorité de droite du parlement, soumise obligatoirement au vote populaire en raison de sa nature fiscale.

Un objet à haute charge émotionnelle (l’internement des délinquants sexuels) et des objets politiques importants (transports, logement, fiscalité) dont les aspects techniques et financiers ne sont pas négligeables. Et surtout des objets portés et combattus par des lobbys représentants des milieux solidement organisés (les automobilistes, les partisans des transports publics — qui sont ici divisés car le contreprojet saupoudre largement — les locataires, les propriétaires, et bien sûr les branches économiques qui dépendent des transports ou de la construction… Pour la fiscalité, la pression à la baisse est générale et les cantons se font concurrence pour attirer les contribuables fortunés. Comme le dit élégamment la page de la Confédération consacrée aux droits politiques:

« Une longue tradition démocratique, une population relativement faible sur le plan numérique, un taux d’alphabétisation très élevé et la richesse de l’offre médiatique permettent à notre forme d’Etat, qui prévoit des droits de codécision étendus, de fonctionner. »

Les partis ont servi à désigner les candidats au Parlement, les élus ont fait leur travail, mais chaque fois que le consensus n’est pas suffisant, le peuple est appelé à trancher; il se prononce d’ailleurs souvent dans le sens préconisé par les autorités! Mais c’est ce que j’appelle le surmoi, l’épée de Damoclès qui fait que la politique est en Suisse, moins qu’ailleurs, un terrain d’épanouissement pour les politiciens…