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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Macron peut-il réussir là où PMF, Monsieur X, Mitterrand et JJSS ont échoué?

premier-numero-de-l-expressA ses tous débuts, je voyais avec une certaine méfiance la mise en orbite d’Emmanuel Macron: d’une part, c’était comme Pompidou, Jobert, Balladur, de Villepin voire Tapie1, une créature du Prince-président sans expérience d’élu, projeté sur le devant de la scène et se voyant soudain promis à la plus haute charge; et si l’on ajoute à cela ma réticence à la posture de l’homme providentiel comme au caractère fondamentalement péroniste2 des institutions de la Ve République…

Il n’y a pourtant pas de doute que ses idées, son action comme ministre et son approche me séduisent. Il a maintenant fait la preuve que, contrairement à Michel Jobert notamment3, il a une capacité mobilisatrice et organisationnelle impressionnante. Et il faut bien admettre qu’une carrière d’élu gravissant sagement les échelons n’est une condition ni nécessaire4 ni suffisante5 d’un engagement politique profond et tourné vers l’intérêt public.

Néanmoins, une ambition si liée à la personne (faisant de lui la cristallisation d’une idée plus que l’incarnation d’un courant dont il ne serait que le représentant) est-elle viable et a-t-elle des précédents?

Les adversaires de Macron renvoient toujours au général Boulanger, dans un contexte tout de même passablement différent. Or il me semble qu’il y a des précédents plus pertinents, et qui sont bien plus prometteurs.

Pierre Mendès France et le Front républicain

Sous une IVe République décriée pour ses cmpromissions, Mendès France, ancien secrétaire d’Etat du gouvernement de Léon Blum, député radical-socialiste, est un homme solitaire mais admiré pour ses convictions et sa hauteur de vue, tant sur l’aventure coloniale en Afrique ou en Asie du Sud-Est que sur les profonds besoins de réformes économiques, sociales et politiques en Métropole. Ses « 7 mois et 18 jours » à la tête du gouvernement 1954-55 (retrait d’Indochine, préparation de l’indépendance de la Tunisie qui interviendra en 1956) restent en mémoire comme une lumineuse comète dans un ciel sombre, et il demeurera une référence morale et politique bien au-delà de la gauche et pour plusieurs générations.

Au service de ses idées, Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud ont créé un hebdomadaire6 engagé7, L’Express. Et JJSS est le stratège qui a mis en place, pour les élections de 1956, le label du Front républicain destiné à identifier les candidats qui s’engagent en vue de donner à PMF une majorité stable.

Le Front républicain gagne les élections… mais nous sommes en régime parlementaire pur: le président de la République fait appel à Guy Mollet, élu du Front républicain – qui accepte la nomination qu’il aurait dû refuser, et PMF est trop poli et respectueux des usages pour le rappeler à l’ordre8. La suite est connue, c’est le désastre de la guerre d’Algérie – comme quoi, oui, la personnalité individuelle peut jouer un rôle crucial.

Monsieur X

En 1958, de Gaulle prend le pouvoir, les institutions sont transformées avec la Ve République en un régime qui donne au président de la République une prédominance9 encore renforcée par l’élection populaire introduite en 196210.

Avant l’élection présidentielle de 1965 et pour laquelle de Gaulle prolonge un suspense de Polichinelle sur sa candidature, L’Express11 lance l’opération « Monsieur X »: l’analyse au fil d’articles des problèmes et propositions et le profil du candidat idéal pour l’opposition (il s’agit du député-maire de Marseille et figure compétente et rassurante du parti socialiste d’alors12, Gaston Defferre.). La campagne échoue toutefois sur le refus du parti communiste, alors force prédominante de la gauche, et Defferre renonce.

François Mitterrand en 1965

L’anti Mendès France, c’est François Mitterrand qui lui saisit (et créé) les opportunités qui se présentent. Politicien rassis de la IVe République, sous la Ve opposant résolu mais solitaire13, avec sa minuscule Convention des institutions républicaines, il obtient l’absence de candidature communiste et s’impose littéralement comme candidat unique de la gauche. De Gaulle, à sa surprise, n’obtient pas la majorité absolue et n’est élu qu’au deuxième tour.

JJSS et le Mouvement réformateur

Après l’élection présidentielle de 19691415, JJSS ne résiste pas à ce qui a toujours été son ambition: faire le saut des coulisses et du pouvoir médiatique à l’exercice de la politique active. Secrétaire général16 du parti radical-socialiste, il cristallise ses idées autour du manifeste Ciel et Terre17 que le Macron de Révolution, bien trop jeune pour l’avoir connu, a lu, j’espère. Il devient député de Nancy, président du Conseil régional de Lorraine18, se présente ensuite contre le premier ministre à l’élection partielle qui suit le décès du suppléant de Chaban-Delmas. Il est partout et lance idées et projets à tour de bras. Reconnu alors comme l’un des dirigeants de la gauche, il négocie avec le PS de François Mitterrand, mais devant l’impossibilité d’une union de toute la gauche celui-ci fera le choix d’une alliance avec les communistes (Programme commun)19.

JJSS se rabat alors sur la troisième voie d’une alliance avec les centristes anti-gaullistes de Lecanuet, à l’enseigne du Mouvement réformateur, qu’il promeut crânement: « Pas parti charnière, parti moteur. » Ça aurait dû marcher, mais la mythologie de l’alliance socialo-communiste est encore vivante, la droite pompidolienne est loin d’être déconsidérée. Les élections législatives de 1973 seront un succès, mais seulement d’estime – qui achèvera de se briser au deuxième tour pour lequel JJSS préconise le soutien aux socialistes en position d’être élus, reconnaissant qu’une victoire du Programme commun est hors de portée, alors que Lecanuet craint toujours une menace communiste et se rallie à la droite.

L’élection présidentielle, pour laquelle JJSS était a priori incomparablement mieux formaté, se produit par surprise avec le décès de Pompidou en 1974. Mais son étoile est désormais pâlie, il ne fait qu’un tour de piste de 24 heures comme candidat20 avant de se rallier à Giscard d’Estaing21.

Et Macron dans tout ça?

Par rapport à ces précédents, il faut bien reconnaître que la démarche Macron bénéficie d’un alignement des astres impressionnant:

  • Il vise la présidentielle qui est le pivot de la Ve République, pas une laborieuse prise du pouvoir parlementaire.
  • Mais il prépare déjà les élections législatives qui vont suivre22, conformément à la réforme Jospin du calendrier électoral qui renforce encore, s’il en était besoin, la présidentialisation du régime.
  • Il est suffisamment neuf pour l’opinion publique23 mais aussi suffisamment connu depuis 10 ans pour être crédible.
  • Il est remarquablement entouré, organisé, financé – et n’a pas le malheureux talent de JJSS pour se faire des ennemis24.
  • Il bénéficie d’un contexte extrêmement favorable avec la déconsidération simultanée de la gauche et de la droite institutionnelles, comme aussi d’un meltdown global sur le plan international avec le Brexit et la faiblesse de l’UE, l’élection de Trump aux USA et l’absence de confiance en elles des démocraties face à la persistance de la menace islamiste, la crise des réfugiés et l’émergence de Poutine.

 Alors oui, non seulement je me réjouirais de la présence et de la victoire Macron au deuxième tour de la présidentielle, mais je les crois possibles.

  1. Raymond Barre est dans une autre catégorie, il provient du monde académique et a été membre de la Commission européenne avant de devenir un homme politique national. []
  2. Le vrai modèle pour de Gaulle était à mon avis Atatürk, comme lui venu de l’armée et se sentant investi d’une mission pas seulement politique mais de régénération morale et spirituelle de la nation. []
  3. Qui certes tenait plus d’E.T. que de l’homme providentiel et n’a jamais entraîné que son micro Mouvement des démocrates dont, pour plus de sécurité, il était désigné comme président à vie dans les statuts! []
  4. D’ailleurs, si elle nourrit l’expérience concrète, elle peut aussi plomber celui ou celle qui peine à prendre du recul. []
  5. Que l’on pense au nombre d’opportunistes carriéristes qui s’y lancent, particulièrement là où l’étatisme est fort, comme en France ou dans les villes et cantons romands. []
  6. Qui deviendra même brièvement quotidien pour les besoins de la campagne. []
  7. Le newsmagazine est une transformation du début des années 60. []
  8. Une sorte d’acte manqué qui hélas se répétera à plusieurs reprises au cours de sa carrière. []
  9. Dont on verra plus tard qu’elle se réduit à un pouvoir de nuisance en cas de cohabitation qui relève du régime parlementaire, avec toutefois un exécutif particulièrement fort par rapport aux autres démocraties. []
  10. Par un plébiscite anticonstitutionnel, le référendum exigeant l’accord du Parlement, mais bon… []
  11. Oui, encore JJSS. []
  12. La SFIO. []
  13. Ami de JJSS et de Françoise Giroud, qui le soutiendront dans la sombre histoire de la tentative d’assassinat mis en scène dans le jardin de l’Observatoire. []
  14. Durant laquelle il interviendra dans un spot de campagne d’Alain Poher, à rôles renversés quasiment. []
  15. A laquelle on retrouve Defferre et Mendès France, le second étant destiné à devenir le premier ministre du premier (ils feront 5%) et l’on découvre Michel Rocard. []
  16. Puis président, renversant Maurice Faure qui avait fait appel à lui. []
  17. Co-signé par lui et Michel Albert, largement nourri par la rédaction de L’Express et finalisé comme toujours par Françoise Giroud. []
  18. « Président de la Lorraine » dans son langage. []
  19. Ce qui se comprend d’un point de vue strictement cynique dans le contexte électoral de l’époque, le PCF étant toujours le parti dominant de l’opposition. []
  20. Entre Pierre Messmer, le premier ministre, et Edgar Faure. []
  21. Dont il deviendra un éphémère ministre des réformes, car Chirac, premier ministre, obtiendra sa tête au premier prétexte, et Giscard ne saura pas la lui refuser. []
  22. Contrairement à Giscard qui s’était fait élire en 1974 alors qu’il n’était que le junior partner du pouvoir gaullo-pompidoliste et a négligé de se donner les moyens de réformer; quand JJSS créera pour lui l’UDF, ce sera trop peu, trop tard. []
  23. La nouveauté de Benoît Hamon, elle, n’est que très relative et son caractère d’apparatchik ayant trempé dans les pires méandres du PS finira par ressortir. []
  24. Lorsqu’il quittera la politique active, de défaite en défaite, JJSS retrouvera son impact d’agitateur d’idées et d’homme de projets ayant toujours 20 ans d’avance (ou plus), avec le Centre mondial Informatique et Ressource humaine puis son exil temporaire à l’Université Carnegie-Mellon, ou encore ses livres et articles (Le Défi mondial date de 1981, Le Choix des Juifs de 1988). []