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Une grande coalition à Londres?

Scénarios pour l’après 7 mai

Photo UK ParliamentPour qui se passionne pour les régimes politiques  et les systèmes électoraux1, on peut difficilement faire plus contrasté que la Suisse et le Royaume-Uni. Et la situation britannique actuelle est fascinante.

Jeudi prochain, l’électorat britannique2 élira la nouvelle Chambre des Communes après 5 ans d’une expérience inédite dans l’histoire moderne du royaume: le gouvernement Tory Lib-Dem conduit par David Cameron et Nick Clegg3.

Les possibilités théoriques

Le retour à la normale. – Le fonctionnement normal de la démocratie britannique, c’est l’alternance: un parti remporte la majorité des sièges de la Chambre des Communes4 et forme le gouvernement. C’est l’objectif proclamé tant de Cameron pour les conservateurs que d’Ed Miliband pour les travaillistes. Pas impossible évidemment, mais ce serait une surprise: tout le monde s’attend soit à une coalition, soit à une Chambre ingouvernable.

Une coalition majoritaire. – C’est le régime usuel des démocraties parlementaires éclatées entre des partis nombreux, le plus souvent parce qu’ils connaissent un système électoral de représentation proportionnelle (on pense à la Belgique ou à Israël), mais en Grande-Bretagne après les élections de 2010 c’était une révolution: aucun des deux grands partis n’ayant une majorité, Cameron n’a pas cherché à trouver une solution provisoire dans la perspective d’un retour aux urnes rapides, il a proposé un contrat de législature aux libéraux-démocrates. C’est la solution préférée des commentateurs: un gouvernement stable, mais modéré. Encore faut-il que les partis jouent le jeu et passent les compromis nécessaires, ce qui sera plus difficile cette fois: les Lib-Dems en particulier sont déchirés.

On parle ici seulement d’une « petite » coalition autour d’un des deux grands partis, rejetant l’autre dans l’opposition. Mais quid si ni une coalition Con-Lib ni une coalition Lab-Lib n’est arithmétiquement majoritaire vendredi?

Un gouvernement minoritaire. – Cameron ou Miliband devrait alors constituer un gouvernement monocolore qui devra être une combinaison d’intuition pour incarner l’air du temps (selon que le résultat pourra être interprété comme un rejet de l’un ou l’autre, ou comme une volonté de changement avec Miliband ou de stabilité économique et financière avec Cameron) et de créativité politique pour présenter un programme ne coalisant pas les oppositions contre lui, de manière à ce que la confiance du Parlement ne lui soit pas refusée d’entrée. Une fois cet obstacle franchi, le gouvernement devra sentir ce qu’il peut proposer ou non, mais un échec ponctuel n’entraînerait pas sa chute immédiate et un retour aux urnes, qui n’est plus à la seule discrétion du premier ministre5.

Un gouvernement de gestion des affaires courantes. – Variante qui n’est probablement ouverte qu’à Cameron comme premier ministre sortant: faute d’une solution politique viable ou durant le temps éventuellement considérable nécessaire pour qu’elle émerge, il serait contraint de rester aux affaires, en ne faisant que le minimum… avec de nouvelles élections dans l’année.

Une grande coalition. – Evoquée à quelques reprises sans jamais être sérieusement envisagée tant elle est contraire à toute la culture politique britannique faite de tribalisme et d’esprit de compétition, c’est la formule qui paraît évidente à l’observateur étranger. Inaugurée en Allemagne en 1966 par le chancelier CDU Kurt Georg Kiesinger avec le chef du SPD Willy Brandt, reprise déjà à deux reprises par Angela Merkel avec le SPD: une coalition des deux grands partis.

La menace SNP

Ce qui pourrait l’imposer au Royaume-Uni, ce n’est pas seulement l’impossibilité arithmétique d’une autre solution ou l’évidence que, par delà leurs différences évidemment marquées, les deux partis de centre-droit et de centre-gauche, comme dans toutes les démocraties modernes, sont davantage d’accord entre eux sur le cadre général de la société que les Tories ne le sont avec l’UKIP ou les travaillistes avec les Verts ou l’extrême gauche. C’est surtout l’émergence du SNP en Ecosse6: indépendantiste et populiste, bien que composite, le parti incarne souvent une vision d’extrême gauche détachée des réalités. Viscéralement opposé aux conservateurs, il promet de soutenir de ses voix un gouvernement Miliband… comme la corde soutient le pendu, chantage ponctuel à l’appui.

Tant Miliband que Clegg (pour l’hypothèse d’une coalition Lab-Lib minoritaire) ont exclu de gouverner si les voix du SNP leur sont nécessaires7: outre la menace à l’unité nationale et la gifle que cela représenterait pour les Ecossais qui ont nettement voté non lors du référendum, le but ultime du SNP est la sécession, ce qui laisserait le parti conservateur au pouvoir pour longtemps dans un Etat réduit à l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord.

Un gouvernement minoritaire conservateur n’est pas impossible, mais il créerait sans doute une fracture irrémédiable avec l’Ecosse. Un gouvernement minoritaire travailliste est impossible à cause de l’appui du SNP.

Une grande coalition peut être le seul moyen de marginaliser le SNP et de préserver l’Union tout en donnant au pays un gouvernement stable.

Mais les concessions à faire seraient énormes, les difficultés interpersonnelles quasiment insurmontables. La manière indigne dont Miliband est revenu, à propos de l’intervention internationale en Syrie, sur l’accord qu’il avait conclu avec Cameron et Clegg n’est pas non plus de bon augure. Ni Cameron, sale gosse brillant, dilettante et arrogant, ni Miliband, geek psychorigide, tous deux ouvertement contestés dans leurs rangs, ne paraissent intellectuellement et psychologiquement de taille à relever le défi. Et l’hypothèse de Miliband premier ministre et Boris Johnson vice-premier ministre n’est guère plus encourageante.

  1. Démocratiques. Je suis sûr que l’étude des régimes autoritaires et autres dictatures est aussi intéressante, mais disons qu’ils excitent mon lobe militant davantage que mon lobe analytique. []
  2. Ouvert aux ressortissants des pays du Commonwealth, mais auquel manque une proportion non négligeable de personnes qui négligent ou refusent de s’enregistrer, en particulier parmi les jeunes, encouragés par Russel Brand – pour les francophones, une sorte de Coluche en bien pire. []
  3. Pendant la guerre c’est un gouverment d’union nationale que conduisait Churchill, et les gouvernements de crise des années 30 ne sont guère comparables. []
  4. Sans nécessairement une majorité absolue des votants – le dernier à y être parvenu est John Major en 1992 – ni même forcément plus de voix que le parti arrivé second en sièges. []
  5. C’est une retombée institutionnelle de la coalition de 2010, qui a inscrit dans la loi le principe d’une durée fixe de 5 ans pour la législature, avec la soupape d’une procédure organisée pour de nouvelles élections en cas de crise de confiance. []
  6. Par un curieux effet boomerang après son échec sur l’indépendance, selon les sondages il emporterait la quasi-totalité des sièges écossais à la Chambre des Communes, ce qui ferait perdre aux travaillistes des dizaines de sièges. []
  7. On pense à Pierre Mendès France en 1954 prévenant qu’il n’acceptera la confiance de l’Assemblée que si elle lui est donnée déduction faite des voix communistes. []