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La malencontreuse tromperie de l’initiative populaire pour un revenu de base (allocation universelle)

Image Le MatinComment passer du débat à  la réalisation? Un article constitutionnel ne suffit pas

Mà j mardi 11 à  15h10

Les droits populaires offrent aux Suisses un puissant exutoire politique: on ne passe pas son temps à  se lamenter par tribunes interposées, à  manifester plus ou moins violemment, et on n’en est pas réduit à  s’immoler par le feu – on écrit un nouvel article pour la Constitution (ou on lance une demande de référendum contre la loi inique que vient de voter le Parlement) et l’on s’emploie à  réunir des signatures d’électrices et électeurs du même avis.

Reste ensuite à  obtenir un vote positif (ou plus souvent à  faire évoluer les esprits à  plus long terme, voire à  amener les autorités à  entrer en matière et faire quelques pas dans votre direction), ce qui est évidemment loin d’être gagné, mais c’est aussi cela la démocratie.

Parmi les nombreuses embûches sur le chemin, il y a les aspects purement juridiques du projet et le choix de la stratégie que l’on entend suivre.

L’initiative populaire « pour un revenu de base inconditionnel » pose à  mon avis un problème inédit qui relève en quelque sorte de ce qu’en droit pénal on appelle la commission impossible (on tire sur sa victime sans savoir qu’elle est déjà  morte). A ce stade, il vaut mieux que je précise d’emblée que je suis affilié au BIEN, le réseau européen pour l’allocation universelle, et membre de sa branche suisse, et que j’ai promu l’idée dès 1996 dans les colonnes de Domaine Public. Mais la difficulté c’est la concrétisation, le passage de l’utopie stimulante aux modalités pratiques.

Et c’est là  que la démarche des initiants se heurte à  un problème: une initiative populaire est une révision partielle de la Constitution, or la proposition postule une révision totale. Car il ne s’agit plus ici d’ajouter des allocations familiales pour les familles avec enfants, p.ex., à  un dispositif prévoyant par ailleurs une pension de retraite et des allocations de chômage, mais de dynamiter tout l’édifice de la protection sociale étatique tel qu’il s’est mis en place depuis la fin du 19e siècle pour le remettre à  plat: en partant de l’allocation universelle (un revenu de base inconditionnel, dont le montant et l’assiette de financement restent évidemment également à  déterminer) puis en voyant ce qu’il faut éventuellement prévoir d’autre – vraisemblablement aucune autre allocation versée sans condition de ressources, voire seulement des prestations de soutien ciblées en nature et en services…

Certains des initiants, au moins, le savent parfaitement[1], et je trouve pour le moins douteux et démagogique l’accent mis sur le chèque mensuel de 2’500 CHF[2] en se gardant bien de mentionner ce qu’il faudra « perdre » pour financer cela.

Mais il y a par ailleurs un vrai et double problème:

  • Je ne vois honnêtement pas comment on aurait pu écrire l’initiative afin qu’elle intègre juridiquement de manière contraignante le réexamen des autres prestations actuellement garanties par la Constitution; on n’est pas ici dans le cas où des dispositions transitoires permettent de préciser la démarche. L’introduction du revenu de base inconditionnel est un bouleversement radical qui oblige à  repenser, dans la partie relative aux droits fondamentaux, l’article 12 (Droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse) et le chapitre 3 Buts sociaux (art. 41) de la Constitution pour refléter un ordre socio-économique post-Etat Providence[3], et à  récrire, dans la partie relative au contenu des compétences des autorités, de larges pans de la section relative au travail et à  la sécurité sociale (art. 110 et suivants), plutôt que de simplement plaquer la nouvelle disposition après celle relative au droit du travail.
  • Et faute d’une telle rédaction, l’effet juridique de l’adoption du nouvel article 110a serait inévitablement, puisque tous les articles de la Constitution ont la même valeur, que le revenu de base s’ajoute à  tout le reste: ce sont les articles 111 et suivants qui restent inchangés.

L’initiative pour le revenu de base devrait au fond créer un nouveau motif d’invalidation d’une initiative populaire: l’initiative dont l’objet est impossible…[4]

L’initiative populaire est une institution géniale. Mais c’est du droit, pas de la comm’ ou du marketing. La dure réalité, c’est qu’il y a des sujets qui ne se prêtent pas à  la voie de l’initiative populaire pour faire avance le schmilblick[5], au moins dans la conception pragmatiquement normative de l’institution suisse. A cet égard, le flou confus de la notion d’initiative incluse dans le Traité constitutionnel de l’UE est plus propice pour, effectivement, lancer un débat (et rien de plus) à  l’échelle européenne…

Notes

[1] « Le revenu de base est inconditionnel et se substitue à  l’assurance chômage, l’aide sociale, l’AI, l’AVS, etc., jusqu’à  concurrence de son montant. Les besoins en sus resteront couverts de la même manière que maintenant. »

[2] Qui ne figure nulle part dans le texte de l’initiative, ce n’est qu’une idée de manœuvre pour illustrer la proposition et sa faisabilité.

[3] Voire pour certains post-économie productiviste.

[4] On est proche de la jurisprudence du Conseil constitutionnel français qui invalide des lois votées par le Parlement pour défaut de contenu normatif – la loi sur la reconnaissance du génocide arménien p.ex. -, mais cela est dû à  ce cas unique dans les démocraties, résidu du gaullisme, que le Parlement n’a qu’une compétence législative d’attribution, la compétence générale appartenant au gouvernement!

[5] Lorsqu’il s’est agi en 1994 de revendiquer les mêmes droits pour les couples de même sexe (« mariage gay »), la voie de l’initiative a été écartée au profit de la pétition, non contraignante et donc moins polarisante: elle a dans un délai historiquement rapide conduit le gouvernement à  présenter un projet de loi qui fut adopté par le Parlement, plus aisée à  faire passer ensuite en votation populaire contre un référendum obscurantiste que s’il avait fallu promouvoir l’idée a priori et de l’extérieur.

Un commentaire

  1. Jean-Paul Guisan
    12 juin 2013

    Très satisfait par ce billet sur le revenu de base, si ce n’est que je suis vexé de ne pas avoir pensé au piège que tu dénonces. Je m’étais intéressé à  cette question dans les années 90 dans le cadre de mes études de théologie, car c’était un sujet que proposait en éthique le professeur Eric Fuchs, calviniste bon teint, qui y était favorable. A priori, on aurait pu penser que cette allocation inconditionnelle était incompatible avec les fondamentaux de l’éthique protestante du travail ou ceux du libéralisme- or quelques lectures m’ont amené à  envisager que tel n’était pas le cas.

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