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"Don’t ask, don’t tell": la laïcité à  la française contre le sécularisme

La religion, c’est comme le sexe et la fumée: en privé, volets clos, seul ou entre adultes consentants!

La laïcité est une de ces vaches sacrées de la culture politique française que le reste du monde démocratique peine à  comprendre, mais qui est très différente des notions ordinaires de droit à  la liberté religieuse dans l’indépendance du pouvoir politique par rapport à  toute autorité ecclésiastique avec lesquelles on la confond souvent. Un récent billet de Jean-Noël Cuénod, l’excellent correspondant de la Tribune de Genève à  Paris, met le doigt là  où ça fait mal à  propos de deux arrêts sur le port du voile islamique; Cuénod explique d’ailleurs avoir évolué, en cinq ans de vie parisienne, de la vision traditionnelle (qu’il appelle protestante libérale et qui l’avait amené à  critiquer l’interdiction française du voile et autres « signes religieux distinctifs ») pour adhérer désormais à  l’orthodoxie républicaine prônant la supériorité de la laïcité sur la liberté religieuse.

En anglais on traduit laïcité par secularism (et le français considère apparemment les deux mots comme synonymes), mais le contenu est passablement différent. La laïcité, c’est le refus de toutes les religions dans l’espace public. Le sécularisme, c’est la neutralité de l’Etat par rapport aux religions. Faisons un parallèle avec la reconnaissance de l’homosexualité dans la société pour voir ce que cela signifie. Le sécularisme c’est l’acceptation pleine et entière, en plein jour, la laïcité c’est l’absence de sanction mais la demande que ça ne se voie pas, que l’on n’en parle pas: « Don’t ask, don’t tell », selon le régime qui, dans l’armée américaine, avait brièvement succédé à  l’interdiction absolue avant d’être à  son tour aboli.

L’origine des deux notions est pourtant commune: c’est la philosophie des Lumières avec sa notion de droits humains naturels, universels, qui sera traduite politiquement et juridiquement pour la première fois en Virginie entre juin 1776 (Bill of Rights) et janvier 1786 (Statute for Religious Freedom, dû à  Thomas Jefferson), confirmée par le Premier amendement de la Constitution américaine (adopté le 21 août 1789 par la Chambre des représentants avec les neuf autres amendements qui forment le Bill of Rights entré en vigueur le 15 décembre 1791) puis reprise en France dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée par l’Assemblée nationale révolutionnaire le 26 août 1789 pour former le préambule de la Constitution de 1791.

Mais il vaut déjà  la peine de souligner les différences: en Virgine, aux Etats-Unis, c’est la liberté religieuse qui est garantie et la neutralité de l’Etat comme principe politique et juridique proclamée par des hommes qui simultanément font référence sans réticence à  la religion (dans une relation très protestante à  Dieu, il est vrai). Dans une France en proie au vertige révolutionnaire, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen invoque, elle, « l’Etre suprême » et son article 10 est lapidaire:

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

A comparer avec le Statute jeffersonien:

Be it enacted by General Assembly that no man shall be compelled to frequent or support any religious worship, place, or ministry whatsoever, nor shall be enforced, restrained, molested, or burthened in his body or goods, nor shall otherwise suffer on account of his religious opinions or belief, but that all men shall be free to profess, and by argument to maintain, their opinions in matters of Religion, and that the same shall in no wise diminish, enlarge or affect their civil capacities.

La laïcité à  la française s’est par ailleurs durcie à  la faveur d’une seconde période trouble: le conflit avec l’Eglise catholique à  la fin du 19e siècle qui se conclura par la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat – en réalité une loi de compromis, l’aile activement anticléricale du courant laïciste finissant par voter contre! Il y a toute une partie de la gauche qui, si c’était à  refaire, bifferait certainement la liberté religieuse du catalogue des droits fondamentaux…

La France peut bien avoir conservé un attachement sentimental à  la Déclaration de 1789 (à  laquelle elle accorde une portée constitutionnelle), dans la pratique ce sont pourtant la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Cour de Strasbourg qui comptent. Et l’article 9, très explicite, ne laisse pas beaucoup de place à  la laïcité à  la française:

Liberté de pensée, de conscience et de religion
1. Toute personne a droit à  la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à  la sécurité publique, à  la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à  la protection des droits et libertés d’autrui.

Réclamer comme Cuénod, au nom d’une vision extrême de la laïcité, l’ »interdiction générale de porter des signes distinctifs confessionnels sur les lieux de travail non-religieux ouverts au public » relève de la paresse intellectuelle: c’est la politique de l’autruche. La « paix entre les citoyens » de toutes religions ou sans religion est bien mieux assurée par la confrontation explicite et la tolérance pacifique que promeut le sécularisme.