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Référendum au Royaume-Uni

On votait aujourd’hui dans tout le royaume sur le mode d’élection des députés à  la Chambre des Communes. Le scrutin est désormais clos, mais l’on ne connaîtra le résultat que vendredi après-midi, car la priorité est donnée au dépouillement de l’élection parallèle d’autorités locales disséminées dans tous le pays et des Parlements écossais et gallois. Ce référendum présente une analogie assez forte avec ce qu’en Suisse on appelle une initiative populaire: une question posée à  l’électorat à  la demande d’une minorité, et non la ratification d’un acte parlementaire ou, dans le sens gaulliste originel, une proposition de l’exécutif contournant le Parlement. La minorité, en l’occurrence, c’est le parti libéral-démocrate, le junior partner de la coalition gouvernementale britannique, dont c’était une condition sine qua non. Les conservateurs ont donc adopté la loi permettant l’organisation du vote, mais font campagne pour le non.

Tout est curieux dans cette affaire, à  commencer par la proposition elle-même: AV, l‘Alternative Vote System selon la peu descriptive terminologie en usage ici, n’est même pas ce que les Lib-Dems veulent vraiment (la représentation proportionnelle); mais c’est le pied dans la porte, un premier changement dont ils espèrent qu’il enhardira le peuple à  vouloir aller plus loin ensuite. Une autre curiosité c’est l’attitude du Labour: tout le monde estime qu’il est le parti qui a le plus à  perdre à  un tel changement, mais la direction du parti emmenée par Ed Miliband fait campagne pour le oui, contre l’avis de la majorité des parlementaires et des militants. La différence avec un vote suisse, c’est que les arrières-pensées politiciennes jouent aussi un rôle dans la réponse à  la question: Ed veut faire perdre David Cameron, la plupart des travaillistes veulent faire perdre Nick Clegg…

Mais de quoi s’agit-il exactement? De trouver une formule pondérant la brutalité du scrutin majoritaire uninominal: la personne élue est celle qui remporte le plus de suffrages (ce qui, étant donné les pesanteurs sociologiques, limite la compétition aux seules circonscriptions dites marginales, celles dans lesquelles l’écart entre les deux principaux partis n’est pas trop important). Une forme de pondération est bien connue en France: s’il n’ya qu’une majorité relative et non absolue, une second tour départage les deux personnes arrivées en tête; un système qui n’élimine pas tous les effets pervers, comme on l’a vu l’année où Jospin aurait pu triompher de Chirac dans un second tour s’il n’était arrivé que troisième (alors que Le Pen n’avait aucune chance même s’il était arrivé premier).

L’AV est un scrutin uninominal à  un tour dans lequel l’électeur n’indique pas le nom unique de son candidat préféré, mais est invité à  les ranger par ordre de préférence: 1er, 2e, 3e… jusqu’au dernier si ça lui chante. L’idée est d’augmenter le nombre de cas dans lesquels l’élu recueille une majorité absolue (respectivement de permettre à  l’électorat de la circonscription de se coaliser contre le candidat – député sortant – qui obtient une majorité relative mais suscite le rejet général). Si le candidat arrivé en tête n’a pas la majorité absolue, on prend les bulletins désignant le candidat qui a le moins de suffrages et l’on redistribue la seconde préférence exprimée. Et ainsi de suite jusqu’à  ce qu’un candidat (qui peut alors être le No 2, voire – exceptionnellement – 3 du premier tour de dépouillement) ait une majorité absolue, ou alors qu’il ne reste plus que deux candidats. L’AV est appliqué dans deux micro-Etats du Pacifique et en Australie – où une majorité des électeurs souhaite revenir au First Past the Post.

En définitive, le système ne modifierait qu’à  la marge le résultat général des élections, et dans un sens pas vraiment prévisible: tantôt il modérerait la tendance majoritaire, tantôt il renforcerait encore le coup de balancier. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a rien de proportionnel, tous en créant une niche inexpugnable pour le troisième parti: les libéraux-démocrates (dont il faut rappeler qu’il est issu, historiquement, de l’un des deux partis dominants avant d’être remplacé dans ce rôle par le Labour, et a vocation dans le système majoritaire, à  le redevenir, comme cela a failli réussir avec le naufrage extrémiste des travaillistes sous Thatcher, ou comme il aurait pu le réussir en proposant une alternative de droite moderne au New Labour reléguant les Tories au troisième rang). De manière plus perverse, il obscurcirait la grande différence entre un régime parlementaire à  la majoritaire et un régime parlementaire à  la proportionnelle: dans le premier, les partis présentent un programme complet et réaliste, dont la mise en oeuvre sera méticuleusement suivie; dans le second, les partis présentent un programme mettant uniquement l’accent sur ce qui les distingue, puis gouverneront en coalition sur la base de tout ce qu’ils ont en commun (et poursuivront principalement la politique du gouvernement précédent…).

Sauf surprise, l’AV sera refusée (et c’est ce que j’espère). Il y a une rustique beauté dans le système majoritaire uninominal qui ne devrait être abandonnée qu’en faveur d’un système manifestement supérieur. Et je tiens personnellement les variantes pondérées telle que l’AV pour fondées sur une erreur de raisonnement: croire que ce qui importe c’est l’élu de la circonscription (comme si c’était une élection présidentielle multipliée par le nombre de circonscription). Or ce n’est pas le cas: l’élection des députés ce n’est pas choisir individuellement le « meilleur », abstraitement, c’est l’élection du Parlement, la désignation indirecte mais impérative du premier ministre et du gouvernement.

Curieusement, aucun cas n’a été fait de l’engagement figurant noir sur blanc dans l’accord entre Tories et Lib-Dems créant la coalition selon lequel la Chambre haute réformée serait élue[1], elle, au scrutin proportionnel (en lieu et place de sa composition mixte entre Lords héréditaires – limités depuis Blair à  92, élus par leurs pairs – et un nombre illimités de membres à  vie désignés par le gouvernement ou les partis). Je demande à  voir (et une idée extravagante qui a été évoquée est un mandat de 15 ans non renouvelable) car si les deux Chambres sont élues le problème de la légitimité, et celui d’un partage des pouvoirs, se poseront inévitablement. A moins qu’une rupture de la coalition ne permette de nouvelles élections rapides qui seraient au détriment des Lib-Dems et restaureraient un gouvernement soit conservateur, soit travailliste…

Pour mémoire, la réponse a donc été non, à  69%…

Notes

[1] Rectificatif du 12.5 à  18h15: J’avais lu trop vite! Comme le No 2 des Tories, le ministre des finances George Osborne, l’a fait remarquer, l’accord n’engage nullement à  légiférer dans ce sens, mais seulement à  présenter cette proposition… C’est donc comme pour le référendum sur l’AV seulement une obligation de moyen, pas une obligation de résultat comme les autres dispositions de l’accord, en particulier celles sur le rétablissement des finances publiques. Clegg est donc parti pour l’écher sur toute la ligne!