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Santé: maîtrise des coûts, équité et liberté

Samia Hurst s’interroge, sur son blog Bio-éthique, sur les mesures d’économies dans le domaine de l’assurance-maladie obligatoire qui font actuellement débat en Suisse. Cela m’a inspiré le commentaire suivant, dont je n’entends pas priver mes bons lecteurs, ni mes bonnes lectrices[1] (ce d’autant qu’une judicieuse limitation de la taille du commentaire m’a obligé à  le couper, même si j’aurais sans doute pu en faire deux commentaires successifs…).

Il me semble qu’on oublie fréquemment d’intégrer dans le débat une notion de liberté / choix / diversité en tension avec la notion de «coût de la santé» (toujours à  «maîtriser», mais par rapport à  quoi?) et d’«équité» (dont il faudrait aussi se demander quel est le point de référence idéal: l’état actuel est-il par définition satisfaisant, est-il «trop» équitable[2] ou déjà  d’une inéquité à  réduire activement?).

On tend à  parler de la santé (ou plutôt des traitements) comme si nous vivions dans une économie de guerre soumise à  un rationnement extrême requérant une planification centralisée pour éviter l’accaparement ou la violence. Or je ne crois pas que la santé soit un bien différent des autres, l’alimentation ou les loisirs p.ex.: au-delà  d’un minimum de base, chacun ses priorités – et même ses excès si l’on en a les moyens: est-il vraiment grave que certains mangent du homard si personne ne meurt de faim, ou faut-il mettre en place une distribution institutionnelle du homard?

Concrètement, si les dépenses de santé augmentent, représentent une part accrue du revenu disponible, ce n’est pas forcément négatif (de même que la baisse de la part des dépenses d’alimentation ne représente pas une avance de la malnutrition, mais l’enrichissement général et l’amélioration de la productivité): c’est aussi tout simplement le reflet d’une louable préoccupation pour le bien-être (puisqu’aussi bien, OMS en tête, la santé tend à  être définie de manière toujours plus extensive). Toute autre est la question des voies et moyens de la socialisation / mutualisation de ces dépenses.

J’en viens pour ma part à  penser que ni le système technocratique centralisé type NHS ni la prise en charge des dépenses individuelles par un régime d’assurance-maladie obligatoire ne sont satisfaisants. Le NHS est impressionnant pour la maîtrise des coûts (tant qu’il parvient à  braver l’impopularité), beaucoup moins pour l’individualisation, et douteux du point de vue de l’équité tant en raison du biais socio-culturel qui permet au patient middle class d’obtenir plus du système que le patient immigrant ou working class que par le fait que le NHS est bel et bien complété / court-circuité, pour ceux qui en ont les moyens, à  la fois par un marché libre et par des assurances privées. L’assurance obligatoire (même avec une caisse unique dont l’effet serait tout de même aussi de chercher à  réduire davantage la marge de manoeuvre du patient) pousse au gaspillage afin d’en avoir pour ses cotisations voire davantage, une fois le seuil de la franchise à  charge du patient atteint, ou plus généralement parce que le patient n’a pas de responsabilité financière et ne perçoit plus qui paie: cela nous donne le double mouvement de l’extension généreuse de la liste des prestations remboursées et, à  l’inverse, d’«économies» discutables, comme me semble-t-il la suppression de la prise en charge de lunettes médicales.

Ma préférence irait plutôt à  une variation sur le modèle de Singapour[3] tel que je l’ai vu prôné par Tim Harford, un économiste dont le parcours et les publications témoignent d’une vision du monde impeccablement généreuse et solidaire: un régime étatique (type NHS) prend en charge une liste très restreinte de prestations coûteuses et importantes; pour le reste, chacun gère comme il l’entend ses dépenses de santé en puisant dans le compte épargne-santé qu’il a l’obligation de constituer (et au besoin ses autres revenus: mais l’expérience montre que cette vraie liberté rend économe!)… La beauté du système, me semble-t-il, c’est qu’il peut facilement être complété, dans la perspective de l’équité ou d’une politique publique de prévention, avec une alimentation complémentaire des comptes individuels par des bons, généraux ou ciblés (telle vaccination, p.ex.) et même par des versements financiers pour les personnes dont les moyens propres n’assurent pas la constitution d’une épargne-santé suffisante, leur donnant à  eux aussi la vraie liberté de gérer leurs dépenses de santé.

Avec un tel système, je suis même prêt à  ne pas m’indigner que des médecines complémentaires à  l’efficacité non démontrées soient couvertes!

La difficulté supplémentaire, c’est comment passer d’un système à  l’autre? Singapour a pu faire le saut, vraisemblablement, d’une situation de pénurie et de sous-développement à  une situation que je qualifierais de modèle de protection sociale libérale avancée. Mais on imagine la difficulté pour la Suisse d’envisager un remplacement du système actuel, durement conquis il n’y a pas bien longtemps… Sans parler du vertueux et inouï unanimisme britannique qui s’opposerait à  une transformation du NHS même vers un modèle simplement assuranciel – et contraint dès lors les gouvernements de gauche comme de droite à  des contorsions invraisemblables, qui ont un coût aussi financier, pour établir du choix individuel pour les patients (Labour) ou du marché pour les soignants (Tory) tout en conservant la façade intacte!

Notes

[1] Mais j’ai renoncé à  rendre épicène ce qui suit!

[2] Cette formulation montre que le terme choisi n’a probablement pas la neutralité souhaitable.

[3] Voir aussi ce billet.

Un commentaire

  1. 3 février 2011

    ‘Equité’ ne peut pas être neutre…c’est ce qui s’appelle un ‘terme épais’: il décrit un état de fait (c’est là  qu’on devrait pouvoir être neutre) et en même temps il en fait une évaluation morale (dans ce cas, positive). Donc, puisqu’il s’agit de décrire quelque chose qu’on approuve, on va lui donner un contenu…dont on approuve. Et bien souvent on n’explique pas ce contenu. Vaste débat.

    Le système de Singapour est employé dans d’autres pays asiatiques aussi. Et oui, on voit bien comment il serait difficile de l’implémenter dans un pays ayant déjà  couvert davantage, comme le notre. Le problème est cependant aussi ailleurs. Ce ne sont en fait pas seulement les interventions coûteuse qui sont coûteuses. Les interventions répétées le sont aussi. Un système qui ne couvrirait solidairement <i>que</i> les interventions dont la facture est d’emblée salée risque au moins deux sortes de problèmes: 1) que des individus fassent des économies sur des interventions précoces et se retrouvent à  payer des factures lourdes rendues nécessaires par manque de prise en charge opportune 2) que des individus renoncent à  des interventions nécessaires par manque d’argent, alors que ces interventions étaient tout aussi imprévisibles (et donc non budgétables individuellement) que les interventions chères.

    L’assurance complémentaire règle une partie variable -qui peut certes être importante- de ces problèmes, encore faut-il qu’elle soit abordable. Idéalement pour tous, mais en tout cas pour la plupart. Et puisque nous parlions d’équité, une des définitions influente exigerait alors que ceux qui ne peuvent pas se payer une assurance complémentaire soient dans cette situation par suite de leurs propres décisions uniquement, et non pour d’autres sortes de raisons.

    A bientôt, me semble-t-il…?

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