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Elections britanniques: une présidentielle triangulaire?

Vous connaissez ce sentiment glaçant qui s’empare de vous en cliquant trop vite sur l’envoi d’un courriel dont la combinaison du contenu et du destinataire sont erronés et inappropriés? Quand vous réalisez trop tard que plus rien[1] ne peut interrompre les conséquences tragi-comiques, ou plus graves, de votre geste? Une métaphore plus cultivée est celle de la boîte de Pandore dont l’ouverture, dans la mythologie grecque, a libéré sur l’humanité les maux qui l’accablent.

Si les débats télévisés entre les leaders des partis britanniques aboutissent à  un bouleversement du paysage politique par irruption du parti libéral-démocrate, même de manière différée Gordon Brown et David Cameron pourront facilement identifier le geste irrémédiable, la décision fatale qui aura tout changé de manière irréversible (mais dont on pourra dire avec certitude que sans elle la destinée du pays aurait été différente): l’acceptation de débattre en plaçant sur pied d’égalité les trois partis nationaux. Qui est une « première » à  un double titre: faute d’accord, il n’y a jamais eu de tel débat par le passé[2], et généralement l’affrontement privilégie le parti du premier ministre et le parti de celui qui a le titre officiel de leader de l’opposition, faisant place en retrait au troisième parti par le nombre de ses sièges[3]. C’est comme ça pendant la session parlementaire tous les mercredi pour les Questions au premier ministre à  la Chambre des Communes, et toute l’année à  la radio, à  la télévision et dans les débats publics.

Nick Clegg, le leader libéral-démocrate, n’a pas laissé échapper la chance qu’aucun de ses prédécesseurs n’a eue, et à  ses qualités personnelles s’ajoute la prime à  la différence par rapport à  l’overdose de duels Labour / Tory. Les médias, l’opinion selon les sondages, en ont fait le clair vainqueur du premier débat, jeudi dernier. A celui d’hier il ne s’est nullement effondré. Il en reste un troisième jeudi prochain, puis le suivant ce sera l’élection.

L’extraordinaire, c’est que cela a toutes les caractéristiques d’une confrontation présidentielle tel qu’on le connaît en France ou aux Etats-Unis, mais sans les institutions qui vont avec:

  • En France, l’affrontement est constitutionnellement un duel pour le second tour entre les candidats arrivés en tête au premier.
  • Aux Etats-Unis même George Wallace (1968), John Anderson (1980) ou Ross Perrot (1992), les rares candidats indépendants qui de mémoire récente quelque peu taquiné le duopole Démocrates / Républicains, n’ont jamais été placés sur le même plan que les deux candidats principaux.
  • Mais surtout la différence majeure c’est que le Royaume-Uni ne connaît pas, si je puis dire, la séparation des pouvoirs entre exécutif et législatif! On vote pour des élections législatives qui désignent à  la fois les membres du parlement et le chef du gouvernement dont le pouvoir, sur le plan politique interne, est sans commune mesure avec celui d’un Obama dont ses groupies réalisent qu’il est loin de faire ce qu’il veut, en particulier parce qu’il n’a pas de pouvoir direct, contrairement au premier ministre britannique, sur les parlementaires de son parti: leur élection a lieu à  d’autres échéances et obéit à  des logiques bien différentes de la présidentielle.

On n’élit pas un président Brown, Cameron ou Clegg en sachant qu’ensuite il devra composer avec les éléments d’un système complexe (et c’est le cas même de Sarkozy en France). En Grande-Bretagne on choisit, au travers du candidat dans la circonscription identifié au leader, un parti majoritaire dans un système d’alternance pur. Auquel les notions de gouvernement minoritaire, de coalition majoritaire et de gouvernement d’union nationale ne sont certes pas totalement inconnues (il y a des précédents pour les trois cas de figure), mais sont profondément étrangères: des accidents de l’histoire que l’on doit gérer jusqu’à  ce qu’une dissolution autant que possible rapide permette de ramener l’ordre binaire.

Personnellement je crois encore que c’est un fantasme, que la performance dans les sondages de Nick Clegg est une bulle médiatico-politicrate qui ne se traduira pas en suffrages dans les circonscriptions au point de faire autre chose du groupe libéral-démocrate que le troisième parti national[4] au sein de la Chambre des Communes; et que la question de savoir qui des travaillistes ou des conservateurs gouvernera le Royaume-Uni, si aucun des deux n’a une majorité absolue de députés au lendemain du 6 mai, sera simplement reportée à  l’élection suivante, d’ici 6 mois ou une année. Mais si je me trompe[5], ce sera un renversement analogue au déclassement du parti libéral d’alors par le tout jeune parti travailliste (il n’est pas encore clair si cela concernerait les deux mêmes partis ou se ferait, cette fois, au détriment du parti conservateur).

Sans correspondre, cependant, à  rien de profond, de sociologique: seulement le geste malheureux de deux leaders si désespérément perdus dans leur affrontement pour le pouvoir[6] qu’ils commettent par démagogie médiatico-populiste l’erreur de permettre l’irruption du troisième. Et sans que le parti libéral-démocrate le mérite le moins du monde tant il est pétri de contradictions et coupé des réalités de l’exercice du pouvoir.

Notes

[1] Sous GMail, il existe un gadget pour introduire un délai de correction!

[2] Le plus souvent c’est le premier ministre, maître de la dissolution qui n’en voyait pas l’intérêt pour lui. De manière plus enrobée, on peut soutenir qu’un tel débat est moins nécessaire au Royaume-Uni qu’ailleurs car il est de fait constant au parlement.

[3] On aurait parfaitement pu imaginer, par exemple, deux ou trois débats Brown – Cameron, complétés d’un débat Brown – Clegg et d’un débat Cameron – Clegg.

[4] En concurrence, dans le rôle du grain de sable ou de l’appoint soit pour le soutien à  un gouvernement minoritaire soit pour la participation à  une coalition, avec un groupe hétérogène mais dont on peut clairement identifier les éléments permettant d' »acheter » les voix: les élus des partis régionaux d’Irlande du Nord, d’Ecosse et du Pays de Galles.

[5] Cela s’est déjà  vu: j’ai en particulier proclamé sur ce blog et dans Le Temps qu’Obama avait virtuellement perdu la primaire face à  Hillary Clinton, et que si contre mon attente il était néanmoins désigné il ne pourrait battre McCain…

[6] Et tous deux affaiblis par le discrédit sur la classe politique à  la suite du scandale des notes de frais des parlementaires.

2 commentaires

  1. 24 avril 2010

    « au point de faire autre chose du groupe libéral-démocrate que le troisième parti national« > La tu ne prends vraiment aucun risque. Avec plus d’honnêteté tu devrais expliquer que le système électoral actuel avantage de façon extraordinaire le Labour, celui ci n’a besoin que de 1 point de plus que le 2e pour être leader, les Conservateurs ont besoin de 8-10 points et les Libdems de 12-13 points. Autant dire mission impossible !

    Par ailleurs si c’est une erreur pour Cameron, cela n’en est pas forcement une pour Brown. Les libdems vont peut être lui permettre de maintenir le labour… on dira alors que c’est bien joué (même s’il laisse son fauteuil de 1er Ministre à  l’un des deux jeunes Miliband).

  2. Eh, oh, reste poli: en quoi serais-je malhonnête? Je m’insurge, comme toi apparemment, contre la bulle médiatico-politique que Nick Clegg a tout changé pour les Lib Dems. Cela dit, je serais plus prudent: le système électoral (j’avais tartiné pas mal dessus il y a 5 ans, je prévois un prochain billet pour enfoncer le clou) accentue toutes les déformations et pourrait aussi, au pire, leur donner une majorité absolue imméritée!

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