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Suppression du juge d’instruction: Sarkozy a du retard sur la Suisse

Avec l’autorisation de son auteur, je reproduis ici un billet publié sous ce titre sur l’excellent blog de « décryptage juridique de l’actualité » (suisse) En fait et en droit: la manière dont la Suisse a décidé, en 2007, de supprimer dès 2011 le juge d’instruction dans les cantons où il existe, d’une part, et la France s’apprête à  le faire, d’autre part, est pour le moins différente. Mais pour quel résultat?

Billet originellement publié ici le 8 janvier par l’auteur du blog En fait et en droit.

Nicolas Sarkozy veut supprimer le juge d’instruction. La réforme est encore très loin d’être votée par le Parlement puisqu’aucune proposition de loi n’existe. Mais le Président de la République voisine et néanmoins amie est coutumier de la méthode : il lance une idée, jauge les réactions et s’il n’y a pas d’obstacle ou si l’obstacle n’est pas en béton armé, il fonce. Et ça ne rate jamais : chaque ballon d’essai présidentiel suscite une polémique tout à  fait hexagonale. Les syndicats de magistrats se déchaînent; les avocats sont dans la rue; l’opposition est scandalisée; les bloggeurs ne sont pas en reste (voir Anatole Turnaround chez Eolas ou Jules). 2008 a été l’année de la suppression de la pub à  la télévision publique après 20h. 2009 sera l’année de la suppression du juge d’instruction et toute la journée.

Tout le contraire de la méthode helvétique. Chez nous, c’est dans le silence des bureaux de l’administration fédérale et dans l’atmosphère feutrée du Palais fédéral que le législateur a coupé la tête aux juges d’instruction. Sans tambour ni trompette. Sans que l’on sache non plus ce que l’opinion publique en pense. Résultat : en 2011, c’est une certitude et pas une propositon présidentielle, les juges d’insturction n’existeront plus en Suisse. Le 1er janvier 2011, c’est la date d’entrée en vigueur du nouveau et du premier Code de procédure pénale suisse, qui remplacera les 27 codes de procédure actuellement en vigueur, un pour chaque canton et un pour la Confédération.

La future procédure pénale suisse est tout à  fait comparable au modèle proposé par Nicolas Sarkozy. L’enquête est placée sous la responsabilité du Ministère public, autrement dit du procureur. Mais, toutes les décisions qui sont d’importance pour le prévenu – la mise en détention provisoire, notamment – feront l’objet d’un débat contradictoire devant une autorité judiciaire, le Tribunal des mesures de contrainte. Lorsqu’on arrive au bout de l’enquête, le prévenu peut dans les cas de moindre importance décider d’accepter une condamnation par le Ministère public. Sinon, le prévenu – qui devient alors accusé – est renvoyé devant un tribunal pour y être jugé en contradictoire : le même procureur qui a dirigé l’enquête portant le dossier d’accusation, et son avocat présentant sa défense. Et – j’ai déjà  eu l’occasion d’y consacrer une note – les jurys populaires devraient en principe être supprimés à  ce stade (imaginez deux secondes que dans le même mouvement saccadé, Nicolas Sarkozy ait proposé la suppression des cours d’assises!). Ce modèle existe déjà . Non seulement dans deux pays voisins, l’Allemagne et l’Italie, mais aussi dans certains cantons suisses, comme à  Zurich ou à  Saint-Gall. Il semble fonctionner à  la satisfaction des justiciables, ou disons que l’insatisfaction des justiciables n’est généralement pas causée par l’absence du juge d’instruction. Exit donc les juges d’instruction dans les cantons qui les connaissent encore, notamment tous les cantons romands.

Parallèlement à  l’instauration de cette procédure accusatoire, le Code de procédure pénale suisse donnera certaines garanties à  la défense. Des droits souvent plus étendus qu’actuellement. Ainsi, les justiciables pourront faire appel à  un avocat dès la première heure et exiger que celui-ci les assiste lors de tous les actes d’instruction, y compris les interrogatoires de police. Certes, l’accusation dispose de pouvoirs étendus, mais elle doit les exercer sous la surveillance continuelle de la défense. Rien ne se passera plus entre les quatre murs d’un cabinet de juge d’instruction hors la présence d’un avocat. De même, le fait qu’une autorité judiciaire – le Tribunal des mesures de contrainte – se prononcera sur la détention provisiore devrait éviter que celle-ci soit utilisée comme un moyen de pression pour faire avouer les prévenus: une pratique policière qui n’est hélas pas une légende. Les policiers vont eux aussi devoir s’adapter à  cette nouvelle donne. Et soyons certains que l’opinion publique sera alertée de l’existence d’une nouvelle procédure pénale le jour où un tribunal de mesures de contrainte aura remis en liberté une personne soupçonnée de viol.

Le débat français accorde une importance centrale à  un autre élément : le manque d’indépendance des procureurs vis-à -vis du pouvoir politique et notamment du Garde des Sceaux dont ils dépendent administrativement et hiérarchiquement. Que les amoureux des particularismes helvétiques se rassure, notre marque de fabrique continuera de s’apposer sur ce point-là . En effet, il revient aux cantons d’organiser les autorités de poursuite pénale et donc de décider de la manière dont doit être organisé le ministère public. Sur ce point, il est probable que les cantons conservent certaines traditions : élection populaire à  Genève, rattachement au pouvoir exécutif dans le Canton de Vaud, pour ne citer que ces exemples. Pour ne rien écrire de l’organisation du Ministère public fédéral, qui a sans doute coûté sa place à  un conseiller fédéral (l’affaire Blocher-Rochascher) et où plus de 10 différentes solutions ont été envisagées. Il n’existe sans doute aucun modèle idéal pour l’organisation du Ministère public. Quelle que soit l’organisation, le seul critère qui doit prévaloir est l’exclusion de toute intervention directe du pouvoir politique – qu’il soit législatif ou exécutif – dans le déroulement d’une procédure en cours. Et il n’est pas inutile de rappeler que toute décision du Ministère public pourra faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire remplissant tous les critères d’indépendance.

La polémique suscitée outre-Jura par l’annonce du président français de sa volonté de supprimer les juges d’instruction contraste avec l’indifférence même pas polie dans laquelle le nouveau Code de procédure pénale suisse a été accueilli. L’expérience helvétique permet peut être de dégonfler la bulle médiatique française. Inversément, la polémique rebondira peut être par dessus la frontière pour permettre le débat qui n’a pas eu lieu au moment de l’adoption du nouveau Code. Un débat essentiel. Amis lecteurs, je sais que vous dormez en paix du sommeil des justes, mais n’oubliez pas qu’il peut arriver à  chacun d’entre nous d’être confronté à  la justice pénale.

Voir le blog En fait et en droit.

2 commentaires

  1. 13 janvier 2009

    Oui – mais les raisons sont pour une large partie différentes. En Suisse il s’agissait d’unifier la PP dès lors qu’il n’y avait plus de sens au 21ème siècle de changer de système de procédure tous les 50 kilomètres, et alors qu’il s’est dégagé des constantes en termes de droit de la défense dans la jurisprudence constitutionnelle et CEDH. C’est du coup qu’il a fallu choisir entre les deux options Ministère public ou instruction, avec une ou deux variantes possibles.

    En France, le problème est distinct et lié de longue date à  la dépendance du Parquet à  la Chancellerie donc à  l’exécutif, réminiscence féodale, supprimée puis rétablie, puis à  l’indépendance donnée à  cause de cela au juge d’instruction – mais devenu du coup électron libre jamais cadré ni sanctionné par la Chambre de l’instruction devenue elle-même Chambre d’enregistrement. Idem s’agissant du juge de la liberté et de la détention, électron de plus institué lui aussi il y a seulement quelques années, tout cela pour finir, en raccourci, avec Outreau et les « affaires » politiques dans le contexte du très fort esprit de corps de la magistrature française. Pas étonnant et well deserved dès lors qu’à  la faveur d’un président omniprésent, il y ait des velléités de modifier un système qui a montré ses limites.

  2. 15 janvier 2009

    Si j’ai bien compris le débat du coté français, ce qui pose problème avec la « proposition » Sarkozy, c’est qu’on sait ce qui disparaît… mais qu’on ne sait pas par quoi ça va être remplacé (pas le temps d’y penser sérieusement, a force de gonfler des ballons). Le contraire de la méthode Suisse en quelque sorte, ou l’on prend le temps de la réflexion, semble-t’il.

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