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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

De Max Mosley à  Roland Nef, en passant par Bill Clinton

Billet revu et augmenté samedi 26.07, actualisé à  23h35[1]

Max Mosley, je vous en parlais ici, a gagné son procès: le News of the World devra lui payer 60’000 £ pour violation de sa vie privée (voir les 54 pages du jugement[2] qui présente de manière très lisible, étroitement et didactiquement articulés, l’état de fait, la situation juridique — avec un accent tout particulier sur la jurisprudence pertinente — et le raisonnement, à  la première personne, du juge). Une compensation surtout morale puisqu’elle ne répare en rien le dommage gratuitement infligé par la publication de son goût pour la scène SM, en particulier vis-à -vis de sa famille qui n’en savait rien. Est-ce une menace pour la liberté d’expression, celle de la presse en particulier? Ce n’est que depuis la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme que les tribunaux du Royaume-Uni ont commencé de la mettre en balance avec un droit à  la vie privée. A vrai dire, la crainte de voir un tel jugement s’appliquer à  une enquête légitime paraît aussi loufoque que la défense des procédés du NoW serait perverse. Le montant accordé, s’il est record au Royaume-Uni, reste modeste[3], et le juge a refusé d’infliger des dommages-intérêts « punitifs ».

En Suisse nous avons également en ce moment une belle affaire de déballage par la presse d’éléments relatifs à  la vie privée d’une personnalité, en l’occurrence le chef de l’armée[4], Roland Nef, récemment nommé par le Conseil fédéral. Ce qui a commencé comme une informalité (l’autorité de nomination n’était pas informée de l’existence d’une procédure pénale, classée, engagée sur la plainte de son ex-compagne) se développe aujourd’hui comme un débat de société à  l’américaine sur la vertu privée exigée des hommes (et femmes) publics.

Il y a toutefois une différence fondamentale entre l’affaire Nef et l’affaire Mosley (ou bien d’autres qui viennent à  l’esprit: l’affaire Lewinsky pour Clinton, l’affaire Spitzer[5]): l’existence d’une victime[6]. Selon la presse, dépit ou vengeance, Nef aurait utilisé le Net de manière à  ce que son ex reçoive des propositions sexuelles qu’elle n’avait nullement sollicitées. Il est désormais suspendu, en attendant un départ qui paraît inévitable, sauf nouveau coup de théâtre, en raison de l’atteinte portée par ces révélations à  sa crédibilité.

COMPLEMENT DE 18h05

Le débat sous-jacent est au fond le suivant: la société peut-elle exiger un degré de sainteté (fût-elle laïque!) proportionnel à  la responsabilité exercée à  son égard? Au citoyen lambda le droit à  la médiocrité et à  la cuite du samedi soir[7], aux politiciens, dirigeants d’entreprises, de syndicats ou d’organisations non gouvernementales[8], hauts fonctionnaires, hauts gradés, sportifs d’élite (le show-biz, on le sait, échappe encore largement à  cette exigence) non seulement d’exceller dans leur domaine après s’être imposés face à  une concurrence féroce, mais encore d’être des exemples dans leur vie de tous les jours voire jusque dans leurs pensées… La réponse n’est pas aussi évidemment négative que j’ai l’air de le suggérer avec cette formulation: il est clair que l’hypocrisie mensongère, « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », peut et doit être dénoncée. Lorsque c’était encore d’actualité, je n’étais pas le dernier à  défendre l’incitation active à  sortir du confort de la confidentialité pour les personnalités gaies ou lesbiennes, voire l‘outing de celles qui de surcroît s’affichaient homophobes. Mais c’est finalement toujours du cas par cas, et je ne crois certainement pas que telle attitude, même hautement critiquable, dans la vie privée oblitère nécessairement la vie publique.

Prenons l’exemple de Bill Clinton. Pour ceux qui haïssaient sa politique, l’affaire Lewinsky confirmait simplement tout le mal qu’ils en pensaient. Mais ceux qui approuvaient sa politique, admiraient le politicien, l’homme d’Etat: la tache sur la robe de Monika doit-elle leur faire tomber les écailles des yeux, réaliser qu’ils avaient tort? Non, bien sûr, pas plus que l’alcoolisme dépressif de Churchill n’enlève quoi que ce soit à  ses mérites. Ma théorie personnelle, aux antipodes du vice privé qui se reflèterait nécessairement dans la prestation publique, ce serait plutôt qu’un individu de génie n’est pas seulement un être ordinaire (hélas) comme le proclame le dicton « Nul n’est un grand homme pour son serviteur », mais a probablement des défauts à  sa mesure… Attention donc à  ne pas créer une situation dans laquelle seuls les médiocres seront considérés comme sans risque.

COMPLEMENT DU 26.07 A 13h45

Affaire Mosley

Il y a eu des réactions extrêmement corporatistes dans la presse[9], agrémentées de l’habituel déni que la Convention européenne des droits de l’homme puisse avoir une quelconque pertinence quand bien même c’est bien le Parlement qui l’a incorporée au droit britannique (il faut dire qu’à  l’autre extrême les exemples caricaturaux abondent ici de précautions les plus absurdes mises en oeuvre par invocation frileuse voire masochiste de la CEDH, qui feraient bien rire les autorités françaises ou italiennes). Quand bien même le jugement réfute expressément l’argument (ch. 73ss.), le Times allait hier jusqu’à  laisser entendre que Mosley et la principale organisatrice, Woman A, ont détruit des courriels qui auraient prouvé la thématique nazie (il exhume aussi, en une sorte de diffamation par association, une note d’Orwell dans son Journal, en 39: « Il apparaît de source sûre qu’Oswald Mosley [le père, chef des fascistes britanniques] s’adonne en privé au sado-masochisme le plus extrême »…).

Mais Woman E, la témoin de la défense qui a fait défaut et à  qui ces rats du NoW n’avaient même pas payé la somme convenue pour son rôle et la caméra dans son soutien-gorge (ou faut-il dire bustier?), a présenté des excuses et confirmé que la séance n’avait rien de nazi; l’explication que je donnais d’emblée que les Britanniques assimilent trop facilement allemand et nazi est largement reprise (il y avait pourtant eu de remarquables expressions de repentance à  l’égard de ces préjugés à  l’occasion de la Coupe du Monde de football en Allemagne, mais c’est trop profond…).

Affaire Nef

Il présente donc sa démission. Mais « pas d’argent, pas de Suisse »: aucun panache aucune tentative même de se replacer sous un jour plus honorable, en humain faillible ou en militaire se sacrifiant pour ne pas entacher l’institution. Seulement des négociations laborieuses sur les conditions du départ. De quoi envier ce qui m’apparaît autrement comme une douteuse spécificité française, résurrection napoléonienne des privilèges de l’Ancien Régime pour l’aristocratie du pouvoir: la dissociation de l’appartenance à  un corps, auquel sont liées les conditions matérielles, plus ou moins à  vie, si je comprends bien, et la fonction exercée. On peut certes la perdre de manière assez sèche tous les mercredis en conseil des ministres, mais on peut aussi s’en retirer sans mesquinerie.

Notes

[1] Ce genre d’indication est-il utile pour qui lit ce blog par fil RSS? RSVP

[2] Pour un commentaire juridique détaillé et en français, voir Jules de Diner’s room.

[3] Tant pour pour News Corp., le groupe de Rupert Murdoch qui édite le NoW, que pour Mosley, qui consacrait 75’000 £ par an à  son hobby.

[4] ça aurait sans doute amusé Foucault mais c’est son titre, et non seulement la chose, comme les conseillers fédéraux qui composent l’exécutif collégial sont appelés « chef (ou cheffe) du département » ministériel qu’ils dirigent chacun. C’est seulement en temps de guerre que l’Assemblée fédérale élit ce que l’on appelle alors un « général ».

[5] Est-ce l’avantage de ne pas être élu? Contrairement à  eux, Mosley ne s’est jamais senti obligé d’exprimer l’ombre d’un remord, plaçant entièrement sur le NoW la responsabilité de l’épreuve infligée à  celle qui est son épouse depuis 48 ans ainsi qu’à  ses deux fils, et revendiquant fermement pour lui-même le rôle de la victime outragée: « He was the first witness, and gave a performance that bristled with self-righteousness and self-confidence.« .

[6] Dans cette mesure, elle se rapproche plutôt des affaires scandinaves où l’on a vu des ministres démissionner lorsque la presse a été révélé l’emploi de personnel étranger sans titre de séjour, ou l’usage abusif d’une carte de crédit professionnelle.

[7] Deux cuites par mois font partie de la nouvelle définition du minimum vital (excellente au demeurant, je voulais en faire le sujet d’un billet spécifique) proposée par une fondation charitable — c’est en Grande-Bretagne évidemment, pas en Suisse!

[8] Ben oui, il n’y a pas de raison…

[9] Ainsi, plus largement, qu’une alliance contre-nature entre libertaires (fondamentalistes de la liberté d’expression) et hérauts de la morale conservatrice traditionnelle, exprimée par exemple par l’ancien archevêque de Cantorbéry ou ce commentateur catholique. Le juge Eady y avait répondu par avance: « (I)t is not for the state or for the media to expose sexual conduct which does not involve any significant breach of the criminal law. That is so whether the motive for such intrusion is merely prurience or a moral crusade. It is not for journalists to undermine human rights, or for judges to refuse to enforce them, merely on grounds of taste or moral disapproval. Everyone is naturally entitled to espouse moral or religious beliefs to the effect that certain types of sexual behaviour are wrong or demeaning to those participating. That does not mean that they are entitled to hound those who practise them or to detract from their right to live life as they choose«  (ch.127). « It is not simply a matter of personal privacy versus the public interest. The modern perception is that there is a public interest in respecting personal privacy«  (ch. 130) — c’est moi qui souligne.

2 commentaires

  1. 28 juillet 2008

    Pour rebondir sur ton analyse de l’affaire NOTW vs Mosley, le Guardian souligne que cela constitue au final une bonne affaire pour le journal.

    La publicité engendrée par le scoop lui aurait en effet rapporté bien plus, et le montant élevé de pénalité interdit a un journal avec les reins moins solides de lui faire ombrage sur le terrain des révélations trash people… une tres bonne affaire donc.

  2. 2 août 2008

    Mouais j’ai aussi pensé au parallèle entre les affaires Mosley et Nef, mais sans y arriver entièrement, ni au plan moral, ni au plan du droit. Est-il acceptable qu’un président de fédération sportive ait les mœurs qui l’amusent, en privé ? Sûrement. Que le chef de l’armée vive une liaison forte et une rupture difficile. C’est fort humain et banal — mais quand on a le doigt sur le bouton et la charge de milliers d’hommes ? Mais surtout, avoir été visé par une plainte pénale pour ces faits là  ? C’est un peu gênant et il sort de la sphère privée de commettre des infractions pénales comme de communiquer le nom de son amie à  des sites X ou de rencontres par vengeance, même s’il me gêne probablement plus encore que ces faits aient été révélés par un tabloïd en violation d’un secret de fonction. Pour un chef de l’armée, il y a tout de même là  un problème (et plus encore pour ceux qui l’ont nommé sans procéder à  des vérifications plus poussées). Pour Bill Clinton, l’on a tendance à  réduire « l’affaire » à  sa galipette avec Monica, sa contrition publique, le psychodrame, et pour nous autres européens l’aspect ridiculement candide des américains face à  la chose. Tout cela s’inscrivait cependant dans un contexte bien plus vaste avec perjury, un crime plus grave encore que les galipettes et que l’occident ne comprend décidément jamais dans la logique juridique et morale américaine, l’affaire Paula Jones, dans laquelle eurent lieu les déclarations problématiques sur Monica L, l’enquête, aussi assez scandaleusement politicienne ait-elle été, menée par Kenneth Starr — initialement sur Whitewater, bref un binz infiniment plus large et compliqué. Un point commun toutefois, et c’est vrai, la sphère privée est malmenée, au nom de la liberté d’informer qui n’en respecte pas les contours, et aucune sanction n’est efficace, certainement pas la somme que NoW devra payer à  Mosley.

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