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Religion et droit: les positions contrastées de Mgr Genoud et de Mgr Williams

A ma droite, Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse catholique romain de Lausanne, Genève et Fribourg. Un homme rond et chaleureux succédant au réservé Mgr Grab, et aux antipodes d’un doctrinaire psycho-rigide comme Mgr Haas que les catholiques de Suisse orientale sont parvenus à  faire exiler au Liechtenstein. Il est aujourd’hui confronté (bien des années après ses homologues des Etats-Unis, d’Irlande et d’ailleurs) à  une tempête relative aux abus sexuels commis par des prêtres et à  l’attitude de l’Eglise catholique envers eux et envers les victimes.

A ma gauche, Mgr Rowan Williams, primat de l’Eglise anglicane (et archevêque de Cantorbéry comme le pape est évêque de Rome). Un intellectuel progressiste complexe, le regard sombre, la chevelure et la barbe perpétuellement en bataille. Passablement incompris ou maladroit, il se voit alternativement reprocher ses accomodements insoutenables sur le plan doctrinal (son attitude vis-à -vis des gays et des menaces de scission homophobe) ou au contraire ses prises de position dans le débat public: elles ne paraissent pas tant relever d’une conception prophétique de sa fonction que d’une approche académique, spéculative, voire médiatico-politique, individuelle en somme et pas à  la mesure de son rôle. Il vient de récidiver sur la question de l’intégration des musulmans britanniques à  la société.

Si l’Eglise catholique s’est toujours conçue comme un monde à  part, avec notamment son propre droit (et s’adosse toujours à  un Etat absolutiste), l’Eglise anglicane est, elle, une création de l’Etat britannique[1]). En dernière analyse, c’est Tony Blair qui a choisi Williams plutôt qu’un autre lorsque la succession a été ouverte. Cela ne rend que plus savoureux le chassé-croisé qui me frappe aujourd’hui:

  • Genoud reconnaît formellement (enfin) que le droit étatique s’applique en premier et sans restriction aux abus sexuels commis par des prêtres. Il met fin à  des décennies pendant lesquels cela n’était considéré que comme un problème d’indiscipline, de violation de la doctrine et des devoirs de la fonction, susceptible de mutation ou de sanction: relevant de la gestion des ressources humaines, en somme, et de la préservation de l’image de l’Eglise. Cela reste d’ailleurs le cas pour ce qui n’intéresse pas le droit étatique: les relations sexuelles consentantes entre adultes, par exemple. Quant à  savoir s’il en fait assez et si ce n’est pas bien tard…
  • A l’inverse Williams (qui se garderait bien de mettre en avant des spécificités chrétiennes ou anglicanes) se lance dans une réflexion sur l’opportunité d’intégrer des éléments de la charia, le droit musulman, dans la législation britannique. Il évoque notamment le droit de la famille (mariage et divorce), la résolution des conflits ou les instruments financiers. Ce qui n’est bien sûr pas absurde intellectuellement parlant, et je suis sûr que dans son idée toutes les précautions sont prises: il ne s’agit pas d’introduire un droit personnel (en fonction de la religion déclarée ou, pire, d’une « appartenance » établie Dieu sait comment) mais des institutions nouvelles (dont les non-musulmans pourront aussi bénéficier) dans le droit-fil de l’évolution d’une société incorporant le meilleur de ce que son ouverture au monde lui apporte, et strictement par la voie usuelle de la loi votée par le parlement. Mais il était inévitable qu’il se fasse tomber dessus de tous les côtés, du premier ministre à  l’opposition en passant par des personnalités musulmanes, y compris pour de mauvaises raisons. Williams (qui a de surcroît la maladresse politique de parler de quelque chose « d’inévitable », ce qui n’est guère motivant et appelle en quelque sorte le refus) ne peut qu’être compris comme capitulant devant Ben Laden, nouvelle expression de cet « esprit de Munich » dont, pour son honneur, la honte et le rejet sont très présents au Royaume-Uni. Cela tombe assez mal après que Mgr Nazir-Ali, évêque de Rochester, a, lui, judicieusement dénoncé les zones de non-droit, quartiers interdits ou dangereux pour les non musulmans. Et alors que la progression d’un islamisme extrémiste est une réalité toujours plus préoccupante dans le pays, où le relativisme culturel (ou la complicité de co-religionnaires) laisse impunis nombre de meurtres et de viols commis dans les familles à  l’égard de femmes et d’hommes désireux de vivre libres.

Notes

[1] Si je puis me permettre cette sorte d’anachronisme pour évoquer la scission décidée par le roi Henri VIII à  qui Rome refusait un divorce.

5 commentaires

  1. Alyane
    8 février 2008

    C’est une idée bien naïve de croire que l’Eglise reconnaît enfin le droit étatique à  propos de la pédophilie. Depuis les -disons deux décennies- que les cas d’abus découverts se succèdent, et dans tous les pays concernés, la stratégie est la même: 1) tenter de dissuader et même souvent menacer la victime, maintenir le prêtre, 2) si la menace se précise, éloigner le prêtre avec une légèreté extraordinaire sur les risques de récidive; 3) si la pression, notamment médiatique, s’accentue, dire ce que le bon peuple et ses journalistes sans mémoire veulent entendre: je demande pardon, c’est terrible, et désormais les pédophiles seront dénoncés. Fin de l’épisode, mais pas du feuilleton. L’Irlande, le Canada français, les Etats-Unis, la France ont connu ça dans telle ou telle région. A-t-on jamais fait une enquête pour savoir combien les Eglises concernées ont depuis dénoncé de pédophiles?… J’aimerais beaucoup connaître le résultat.

    Quant à  la sharia et à  cette extraordinaire idée qu’elle pourrait susciter un droit non discriminatoire à  propos des hommes et des femmes, je propose à  tous les lecteurs – et aux auteurs – une petite formation sur le site suivant: http://www.ajm.ch/wordpress/

  2. 9 février 2008

    Le site du Figaro y consacre un article plutôt nuancé et soulève que « les positions théologiques argumentées de Rowan Williams ne sont pas comprises et, le plus souvent, on ne retient que la partie provocatrice des propos. » Ce qui ne l’empêche dans son chapeau d’écrire : « L’archevêque de Cantorbéry, qui s’est prononcé en faveur de l’application de la charia, est critiqué par les plus traditionalistes de l’à‰glise anglicane. »

  3. ami
    9 février 2008

    « Cela tombe assez mal après que Mgr Nazir-Ali, évêque de Rochester, a, lui, judicieusement dénoncé les zones de non-droit, quartiers interdits ou dangereux pour les non musulmans »

    On « savoure » d’autant plus le côté cliché, mais finalement révélateur, des protagonistes : d’un côté, un religieux aux origines asiatiques ( indien? pakistanais? je ne sais pas… ) pour qui s’exprimer sur les conséquences du relativisme culturel tient simplement de l’évidence ( on suppose volontiers qu’il sait de quoi il parle ), et de l’autre un religieux « teint local » qui informe de l’inéluctabilité de l’application de la sharia à  une population particulière du territoire.

    Par contre, ce cher monsieur ne dit pas comment cette loi s’appliquera concrètement : tous les « nés-musulmans » seront-ils de facto soumis à  la sharia ou devront-ils exprimer officiellement leur adhésion à  cette législation? Et si cette adhésion doit être officiellement affirmée, saura-t-on si ces personnes le font en toute liberté de conscience ou si elles sont soumises à  des pressions communautaires? Quelqu’un a-t-il songé à  demander leur avis aux musulmans, majoritaires il me semble mais je n’en suis plus sûr ( et d’ailleurs, s’ils le sont encore actuellement, ce ne sera plus le cas pour très longtemps : la pression communautaire aura rapidement raison d’eux ) , pour lesquels la sharia ne représente strictement rien, ou alors une ineptie barbare et aberrante?

    Il y a un quelque chose de sinistre, et pourtant perversement délectable à  la fois, à  voir tant de gens cultivés et intelligents construire patiemment, brique après brique, leur propre cauchemar. Quoiqu’il risque d’être le nôtre juste un peu avant, mais ce n’est qu’une question de timing.

  4. Bashô
    11 février 2008

    J’apprécie beaucoup Mgr Williams qui incontestablement un des théologiens anglicans les plus fins et qui ne démérite pas à  son poste, surtout lorsqu’on pense au schisme qui menace la communion anglicane. J’attends avec interêt la prochaine conférence de Lambeth.

    A propos de la charia, prenons l’exemple catholique: lors d’un divorce, certains tribunaux considèrent le procès ecclésiatique (pour obtenir l’annulation d’un mariage) comme une tentative de conciliation et les prennent donc en compte lors du jugement. Sans doute Rowan Williams pensait à  quelque chose d’analogue… Je vais lire son discours (sur son site.)

  5. 11 février 2008

    @ Alyane: Faut-il souligner que c’est surtout la différence d’approche dans le rapport entre César et Dieu qui m’a titillé dans ce télescopage? Sur le fond je ne crois pas prendre pour argent comptant ce que dit Mgr Genoud, ni approuver Mgr Williams sur la charia.

    @ Bashô: Pour moi un chef d’Eglise c’est comme un responsable politique: c’est une position de pouvoir et de représentation, d’incarnation de quelque chose qui dépasse son propre fier cerveau. La propension à  la spéculation intellectuelle est un défaut, pas une qualité (et Benoît XVI a probablement le même problème). Williams croit certainement à  l’égalité dans l’Eglise pour les gays et les lesbiennes et aux vertus d’un multiculturalisme bien compris, mais fait régresser les deux.

    Effectivement, le discours lui-même est ici: se souvenir aussi que la polémique est née de la manière dont Williams a cru devoir en dévoiler des pans en avant-première sur la BBC… Il était assez drôle de voir dans The Guardian de samedi (le journal qui lui est naturellement le plus proche) trois passages cités avec, en regard, « ce qu’il a voulu dire ».

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