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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Une disposition pénale générale contre la discrimination?

Je continue de phosphorer sur la politique pénale en matière de discrimination, à  la suite de ce billet et parce que le débat, certes récurrent, connaît une pointe en ce moment au Royaume-Uni: au racisme, à  l’antisémitisme et au sexisme le gouvernement veut ajouter l’homophobie et peut-être la discrimination à  l’égard des personnes handicapées (comme aussi, probablement, revenir sur son échec à  proscrire les offenses aux religions[1]). Non que je croie que l’action répressive soit la seule ou la meilleure manière d’agir, d’ailleurs. Mais plutôt parce que c’est celle où, avec le même jugement moral contre des actes inacceptables, on peut valablement tenir toute la palette des positions: du plus libertarien refus de toute disposition à  la plus intolérante pour l’intolérance volonté de dispositions draconiennes, en passant justement par une approche pragmatique (j’oscille moi-même entre ces trois positions selon les jours!).

Mais qu’entend-on par discrimination? Il me semble qu’il vaut la peine de s’y arrêter. Je dirais que c’est le fait de procéder, au détriment d’une personne ou d’un groupe générique de personnes, à  une distinction par rapport à  d’autres personnes / à  ceux qui ne font pas partie de ce groupe qui est inacceptable du point de vue de la dignité humaine, parce qu’elle choque le principe universel de l’égalité de toutes les personnes humaines entre elles. Je tiens d’autant plus à  le préciser que je suis également attaché à  une vision non binaire:

  • il y a des distinctions nécessaires (des assimilations inacceptables),
  • il y a des distinctions inacceptables (des assimilations nécessaires),
  • mais entre les deux il y a aussi (et les fanatiques de l’égalitarisme tendent à  l’oublier) des critères de différenciation où il est tout aussi raisonnable de les ignorer (assimilation) que de les trouver pertinents (distinction); cela peut même être discutable, sans pour autant être inacceptable, ce qui doit aussi rappeler la dimension historique (spatio-temporelle) au détriment de la seule et confortable attitude philosophique: sans même parler de l’esclavage, la différence entre hommes et femmes est passée, en Occident il y a deux siècles, de distinction nécessaire à  distinction discutable, pour devenir au 20e siècle une distinction inacceptable.

La discrimination, c’est exclusivement lorsque l’on dénie une distinction nécessaire ou que l’on veut faire une distinction inacceptable (lorsque l’on dénie une assimilation nécessaire ou que l’on veut faire une assimilation inacceptable).

Si je synthétise l’état de mes réflexions, j’en arrive aux conclusions suivantes:

  • Je persiste à  trouver que les prescriptions sur le négationnisme et le révisionnisme sont par trop en contradiction avec la liberté d’expression, sans que la restriction de cette dernière soit suffisamment justifiée par l’atteinte (essentiellement d’ordre moral) portée aux victimes. Comme elles sont imposées par le droit international, il ne sert à  rien de vouloir les supprimer, mais on peut au moins veiller à  les encadrer (en excluant tout génocide ou crime contre l’humanité qui n’a pas été reconnu tel par un tribunal international ou un tribunal national légitime — mais évidemment pas les juges autoproclamés d’une ONG ou ceux d’un régime partie au conflit).
  • Je suis partisan de renoncer à  toute prescription visant à  protéger des groupes en restreignant la liberté d’expression[2]. Par nature, celle-ci est faite pour déplaire. Mais elle n’est pas à  sens unique, elle peut et doit être contradictoire. Une confrontation plus vigoureuse est bien préférable à  l’appel à  l’Etat: que le groupe attaqué se défende! La limite est évidemment que cela reste sur le terrain de la liberté d’expression (d’où la suite).

Est-ce à  dire qu’aucune prescription antiraciste, anti-homophobe, anti-sexiste etc. n’est nécessaire? Non, je pense que deux types de dispositions restent indispensables (et qu’elles ne doivent pas protéger des groupes particuliers, identifiés par le législateur en excluant d’autres groupes, mais l’atteinte à  un principe général: l’interdiction de toute discrimination contraire à  la dignité humaine, c’est-à -dire de toute atteinte du principe de l’égalité entre les personnes, déniée par l’auteur en raison d’un rattachement de la ou des victimes à  un groupe quelconque, et non revendiquée par la victime au nom d’un privilège de minorité):

  • Une disposition visant les discriminations concrètes, ainsi que les appels concrets à  la haine. Cette disposition devrait d’ailleurs permettre l’action collective, c’est-à -dire non pas la plainte individuelle, sur la base d’un préjudice personnel, mais aussi la plainte par une personne morale en vue de faire sanctionner l’existence d’un préjudice général.
  • Lorsqu’une infraction quelconque est commise dans une perspective de discrimination contraire à  la dignité humaine, une circonstance aggravante devrait sanctionner l’atteinte non pas individuelle mais bien collective ainsi porté (cf. précédent billet sur le sujet).

Si je reprends le texte de la disposition figurant dans le code pénal suisse:

Discrimination raciale

Celui qui, publiquement, aura incité à  la haine ou à  la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse;

celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à  rabaisser ou à  dénigrer de façon systématique les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion;

celui qui, dans le même dessein, aura organisé ou encouragé des actions de propagande ou y aura pris part;

celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à  la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à  justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité;

celui qui aura refusé à  une personne ou à  un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, une prestation destinée à  l’usage public,

sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

cela me conduirait à  la reformuler de la manière suivante en le réorganisant dans un ordre qui me paraît plus logique:

Discrimination contraire à  la dignité humaine et à  l’égalité entre les personnes

Celui qui aura refusé d’une manière contraire à  la dignité humaine à  un groupe ou à  une personne en raison de son rattachement à  un groupe, une prestation destinée à  l’usage public;[3]

celui qui, publiquement, aura incité à  la haine ou à  la discrimination envers un groupe ou envers une personne en raison de son rattachement à  un groupe,

Celui qui niera, minimisera grossièrement ou cherchera à  justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité reconnus par un tribunal international ou un tribunal national légitime,

sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

La présente disposition exclut tout concours pour le même acte avec une autre disposition du présent code.

Notes

[1] Qui se voulait un signal à  la population musulmane britannique que l’islamophobie à  l’ombre de la lutte contre l’islamisme terroriste ne serait pas tolérée, mais qui a été emportée par l’indignation à  l’égard du caractère inacceptable de la critique musulmane des caricatures danoises sur Mahomet, qui mettait en cause la liberté d’expression elle-même et est en fin de compte irréductiblement contraire à  la société libérale que voulait, elle, perfectionner la disposition sur les offenses aux religions.

[2] Ex. l’affaire des affiches de l’UDC à  Genève s’opposant à  l’extension aux partenaires enregistrés du statut fiscal des époux en les traitant de « pacsés inféconds ».

[3] Une prestation religieuse n’est pas une prestation publique de sorte que l’Eglise catholique peut refuser la sainte-cène à  qui elle veut; mais une place dans une école privé, par exemple, en est une.

2 commentaires

  1. 5 décembre 2007

    « un groupe ou à  une personne en raison de son rattachement à  un groupe »: comprenez-vous qu’une telle définition permet de s’attaquer à  absolument tous les membres d’une population donnée? Nous sommes tous situés à  l’intersection d’une quasi-infinité de groupes se recouvrant plus ou moins inégalement. Des très généraux (hommes et femmes, par exemple) et d’autres, incroyablement spécifiques (les titulaires d’un permis C venus d’un pays frontalier, par exemple. Ou les chauves. Ou les gens stériles.) Or, en étant membre d’un groupe, on est aussi non-membre de l’anti-groupe: un homme est d’office exclu du groupes des femmes. C’est dégueulasse.

    Nous sommes tous membres du groupe des droitiers ou de celui des gauchers. Supposons qu’il y ait beaucoup de gauchers dans une boîte de nuit: un droitier pourrait-il soupçonner une discrimination? Devrait-il faire du testing pour déceler si le vigile n’aurait pas, par hasard, quelque abjecte dispositions contre les droitiers? Mais sur un critère aussi vague, comment en établir la preuve?

    Il vous reste donc à  définir ce qui constitue un « groupe » acceptable au vu des discriminations. Bonne chance.

  2. 7 décembre 2007

    @ Stéphane:

    Bien sûr c’est la difficulté théorique… Mais existe-t-elle dans la pratique? J’en reviens à  mes trois conditions cumulatives: 1)distinction 2) inacceptable 3) au détriment (d’un groupe, que l’auteur de la discrimination n’est en général que trop heureux de désigner). Et pour le reste le but n’est nullement de nourrir la paranoïa de ceux qui s’estiment discriminés à  la moindre contrariété, bien au contraire!

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