Un Swissroll RSS

Webmix

Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Santé: Sarkozy, NHS ou caisse unique? Plutôt Singapour, merci

J’apprends en lisant Le Canard enchaîné que Sarkozy envisage d’introduire une limite de 100 € par an en dessous de laquelle les dépenses de santé ne seraient pas prises en charge par la branche maladie de la Sécurité sociale, et que les « experts » de la santé pensent le plus grand mal d’une proposition aussi fantaisiste et impraticable — qui, portée à  quelque 200 €, est le lot des Suisses! Pour qui les dépenses de santé, ou plus précisément les primes d’assurance maladie qui en couvrent le financement au-delà  de ce forfait que l’on appelle ici une « franchise », sont un poids considérable; et le mois prochain nous aurons la septième votation à  ce propos depuis l’introduction en 1994 de l’assurance maladie obligatoire.

Si j’essaie de décrire de manière simplifiée la couverture sociale du coût des prestations médicales, para-médicales et pharmaceutiques en Suisse, cela donne ceci[1]:

  • La loi et l’autorité fédérale définissent de manière généreuse les traitements concernés et le tarif auquel ils sont facturés par les prestataires; le patient se fait rembourser (ou n’a pas à  payer)[2] dès qu’il a atteint le seuil de la franchise annuelle à  sa charge, dont le montant est de 300 CHF en principe[3].
  • Cette socialisation du coût n’est pas assurée par la collectivité directement comme au Royaume-Uni (le National Health Service étatique est gratuit pour le patient: les prestations ne donnent simplement pas lieu à  facturation) ou par une assurance plus ou moins unifiée comme la Sécurité sociale française, mais par quelque 87 caisses d’assurance maladie indépendantes; d’origine mutualistes sur une base géographique, confessionnelle ou professionnelle, elles ont dorénavant découvert les joies du marketing, pour attirer les « bons risques ».
  • Depuis que l’assurance est obligatoire, une caisse n’a pas le droit de refuser une demande d’adhésion, et chacun est libre de changer de caisse chaque année.
  • Le montant de la prime d’assurance (mensuelle et par tête), s’il est encadré par l’Etat compte tenu du fait que le secteur de la santé est largement subventionné, et corrigé par des prestations sociales individuelles au gré des cantons, varie selon les caisses.

On voit bien comment les paradoxes de ce régime ont fait naître l’idée d’une caisse unique, proposée par l’initiative populaire sur laquelle le débat fait présentement rage[4]: pourquoi toutes ces caisses puisque la loi définit des prestations identiques pour tous, cette concurrence entre les caisses n’a-t-elle pas un coût absurde, et d’abord pourquoi tout le monde ne rejoint-il pas chaque année la caisse la moins chère? Je rêve de Surowiecki, Harford, Alberoni ou Eco suisses pour analyser ces phénomènes économiques et psychologiques fascinants.

Si l’initiative échoue, ce sera probablement pour une autre raison: elle veut également que les primes soient sociales, c’est-à -dire par ménage et fondées sur les revenus, et non individuelles; une proposition socialiste traditionnelle que les Suisses, qui sont tout aussi traditionnellement portés à  se croire, ou à  s’espérer prochainement, plus riches qu’ils ne sont, ont déjà  rejetée par le passé.

Personnellement, je suis tenté de voter non parce que l’initiative franchit une étape décisive dans une mauvaise direction: celle d’une prise en charge centralisée et toujours plus déconnectée des choix individuels du patient. Or je ne crois pas qu’un régime social de financement[5] implique nécessairement cela. Et je suis convaincu que la santé est un marché comme les autres, dans lequel les besoins et les priorités sont diversifiés et doivent reposer sur des décisions individuelles. Je ne vois par ailleurs pas ce qu’a de choquant le fait que les dépenses de santé augmentent: les dépenses d’alimentation diminuent, elles, mais on ne saurait en déduire que la sous-alimentation menace!

Le système britannique, né de la deuxième guerre mondiale[6], part vraiment de l’idée inverse: la santé étant la même pour tous, elle est définie par le système et ce qui est déterminant c’est le rapport coût/efficacité. Moyennant quoi le niveau de santé est élevé et le coût total bas, mais en maintenant les patients captifs d’une manière qui n’est plus tolérable dans la société moderne (et créé une distorsion entre l’effet objectif du système et la satisfaction à  son égard)[7]. Cela n’empêche nullement de battre en brèche l’égalitarisme du système qui est son unique argument: d’une part, les milieux socio-culturellement élevés parviennent tout de même à  mieux articuler leurs besoins; d’autre part, le secteur privé complémentaire (et les assurances commerciales) n’étant tout de même pas interdits, il en résulte bel et bien un régime à  deux vitesses dans lequel l’inadéquation du système est rendue supportable par le fait que les chattering classes n’en souffrent pas…

Je ne crois pas qu’il faut aller en Suisse dans le sens d’une centralisation technocratique, et d’attendre d’elle plutôt que du marché la régulation des coûts. Or la troisième voie existe, et la caisse unique et sociale nous en éloignerait: c’est celle de Singapour, décrite par Tim Harford dans un chapitre très éclairant de son livre The Undercover Economist.

  • Un compte santé individuel et obligatoire, qui est une forme d’épargne forcée, de cagnotte destinée à  couvrir les dépenses de santé « normales ».
  • Au-delà , pour les gros risques et gros coûts, une prise en charge sociale est assurée.

A Singapour, le résultat donne un excellent niveau de santé pour un coût raisonnable. Il montre qu’il existe une alternative au « tout ou rien » de

  1. la franchise d’abord, qui induit le réflexe de ne pas consommer même si cela serait nécessaire, par exemple à  des fins de prévention, combinée à 
  2. l’assurance de base généreuse ensuite, qui n’induit aucune nécessité d’exercer un comportement économique pour le patient, mais au contraire (les cotisations étant élevées) une incitation à  « en avoir pour son argent »[8], et bien sûr le système sert moins bien ceux qui n’appartiennent pas aux milieux socio-culturellement élevés.

Le compte santé, lui, fournit la sécurité du financement et l’incitation à  l’utiliser avec discernement.

On peut d’ailleurs imaginer toutes sortes de mécanismes complémentaires, à  base de contribution étatique aux comptes santé des ménages à  faible revenu pour le volet social, et à  base de chèques-prestations ciblés sur des populations à  risque pour améliorer la prophylaxie sanitaire. Le gros risque, les traitements à  coûts élevés, eux, sont ceux pour lesquels il n’y a de toute façon guère d’alternative et pour lesquels il est acceptable que les priorités soient fixées d’en haut.

Rédaction actualisée le 06.02 à  16h07

Notes

[1] Je ne parle ici que de ce qui est compris dans l’assurance obligatoire de base (et on me fera grâce des détails que je ne mentionne pas parce qu’ils ne changent pas l’image générale des divers systèmes que je tente de comparer); il reste cependant place pour des assurances complémentaires, purement commerciales, en vue de traitements en chambre individuelle et en clinique privée par exemple.

[2] Pour être précis: un 10% reste à  sa charge jusqu’à  ce qu’un plafond de 700 CHF (465 €) pour l’année soit atteint.

[3] Pas de franchise pour les enfants; l’assurée peut opter pour une franchise plus élevée afin de payer des primes mensuelles plus basses — ce qui ne présente bien sûr d’intérêt que si l’on ne va pas atteindre par ses dépenses propres le montant de la franchise.

[4] Bientôt les affiches, comme d’habitude.

[5] Oui, c’est un objectif que je partage avec le parti auquel j’adhère! 😉

[6] Comme en Suisse l’AVS (et en France la Sécurité sociale?).

[7] Tout l’effort du New Labour, après Margaret Thatcher, est d’introduire du choix et de la diversité sans remettre en cause le régime monolithique, alors que ce qui est nécessaire c’est la séparation des prestations et du financement: c’est sans espoir, on pense aux réformes communistes hongroises ou tchécoslovaques…

[8] Sans réaliser que ce comportement augmente les cotisations de l’année suivante…

14 commentaires

  1. yoyo
    4 février 2007

    En même temps, le Canard raconte parfois des conneries, où est parfois long à  la détente. Parce que Sarko s’est exprimé là  dessus et il semble:

    1) que ce serait un forfait par foyer à  dépenser avant tout remboursement

    2) ca serait plutôt dans les 40 euros

  2. 4 février 2007

    Je regrette personnellement que l’initiative mélange deux questions totalement différentes, poser seulement la question de la caisse unique lui aurait donné plus de chance.

    Je voterai « oui » parce que le système actuel est une aberration, impossible de faire pire, il faut changer! Le « tourisme » encouragé par le Conseil fédéral, tourisme que j’ai largement pratiqué, coûte très cher. Nous avons le modèle de la SUVA qui marche bien, pourquoi ne pas nous en inspirer? J’espère que la passion du débat n’empêchera pas une argumentation solide et en chiffres! Je l’attends encore. Nous savons où nous sommes. Où allons-nous?

  3. 4 février 2007

    Le problème principale en Suisse est que même si on a la concurrence au secteurs des caisses maladies, on a pas la concurrence au niveau des prestateurs, c-a-d. que les caisses devraient avoir la liberté de ne pas rembourser les docteurs trop chers.

    S’il y a quelques prestateurs qui vont disparaître, tant pis, mais c’est la marché. Seulement la politique ne veut pas abolir l’obligation contractuelle des assurances envers les prestateurs, le système ne peut mener qu’à  des primes qui grimpent chaque année. Si le marché jouerait, on devrait bientôt avoir ou des préstations superieures au même prix, un rapport qualité-prix superieur, ou, ce qui est probable, un baisse des prix.

    On ne peut pas introduire le marché d’un côté, et le socialisme, le népotisme et les subventions de l’autre, et espèrer que ça ira bien. Malheureusement, une certaine Mme Dreifuss à  cru que cela marcherait.

  4. Gris
    4 février 2007

    La politique de Nicolas Sarkozy consiste à  ne pas choquer les grandes centrales syndicales, gestionnaires de la sécu française.

    La seule véritable solution à  cette sécu dont le budget est désormais supérieur à  celui de ‘létat français est évidemment la fin du monopole. Toute autre solution ne consistera qu’à  conforter les résidents d’un bastion inréformable dans leur tour d’ivoire.

  5. 4 février 2007

    @mousseman:

    L’acquis décisif de la réforme adoptée en votation populaire en 1994, c’est d’avoir introduit un régime universel dans la couverture des coûts de la santé; je n’ose imaginer où on en serait sinon. A l’époque il n’était pas concevable de le faire autrement que par l’assurance obligatoire en s’appuyant sur les caisses existantes. Et en termes de solidarité et de politique de la santé, une conception restrictive des prestations prises en charge aurait été pire que la situation actuelle: donc aucun regret pour ma part.

    Un élément de réponse au problème que tu soulèves, que j’ajoute dans la description, c’est que le médecin est soumis à  un tarif obligatoire, donc théoriquement le problème ne se pose pas… Ce dont il est question, en réalité, c’est de pouvoir exclure du système des médecins dont la pratique est contestable parce qu’ils poussent à  la consommation (au tarif prescrit) sans justification objective. Et c’est là  que la dissociation du client entre le patient (qui consomme mais n’est pas incité à  être attentif au coût) et la caisse (qui paie) présente un effet pervers que la solution du compte santé obligatoire (qu’on qualifiera facilement de néo-libérale) ne présente pas: le patient et le payeur sont une seule et même personne, l’argent est là  mais il n’est pas infini, l’individu fait ses choix…

    Comme prochaine étape de la réforme de la sécurité médico-sociale suisse, ça me paraît nettement plus prometteur qu’une caisse unique Big Brother déresponsabilisant les patients et prétendant mieux savoir qu’eux et que les professionnels de la santé ce qui est bon pour eux.

  6. 4 février 2007

    Nos lecteurs français ne m’en voudront pas d’avoir accroché ce billet, que je méditais depuis que j’ai lu le livre de Tim Harford, à  leur actualité également… Mon sujet est certes principalement helvétique, mais il me semble que l’exemple de Singapour est intéressant de manière universelle (qui, de Royal ou de Sarkozy, s’en rendra compte le premier? on peut rêver…), et qu’on gagne à  réaliser qu’un pays est rarement seul à  se confronter à  un problème (i.e. le mépris des « experts » pour le forfait initial). La remarque vaut aussi pour ce qui m’apparaît la formidable incapacité des Britanniques (tous partis confondus) à  réaliser que, sur ce plan, ils sont vraiment sur une île, et pas un exemple à  suivre…

  7. 4 février 2007

    Ce système de Singapour est pas mal, c’est la première fois que j’en entends parler. Il me semble peu connu ici.

  8. 5 février 2007

    Bonjour ! C’est la première fois que je laisse un commentaire et c’est pour dire bravo de nous parler de ce système à  Singapour (je l’ignorais, mea culpa). Il faudrait envoyer ce post à  Sarkozy !!

  9. l'airdutemps
    5 février 2007

    Ds l’idée de Sarkozy il s’agit à  terme de privatiser la secu …… ce que la majorité des français ne souhaitent parce que evidemment seuls les plus riches pourront se soigner ….. Deja des pressions ( cf union européenne) sur les mutuelles se transforment en assurance avec constitution d’un fond de reserve , evidemment qui trinque ? le patient :les augmentations deviennent exhorbitantes et bcp ne peuvent deja plus se soigner et adherer à  une assurance complementaire 100 euros de franchise pr la secu (je ne connaissais pas le système suissse) c’est entrer de plein pied ds une systeme d’assurance ……qui n’est plus basé sur la solidarité la secu française contrairement à  ce qu’on dit, fonctionne tres bien le seul pb c’est que l’etat ponctionne tellement dedans (35h , non compensation des allegements ficaux, ..) qu’evidemment on cree un trou qui va payer à  terme?

  10. 6 février 2007

    @Sugus : trouvé cette présentation des « comptes d’épargne médicale » (fichier PDF) sur le site de SantéSuisse: malades chroniques, passez votre chemin… mais SantéSuisse et les néolibéraux doivent certainement apprécier.

    @Mousemann: le marché est de toute façon faussé, vu qu’une assurance augmentant sa proportion de « bons risques » devra payer plus au fonds de compensation et partant, augmenter ses primes l’année d’après. On tourne, c’est tout. Pour le reste, je ne pense pas que ça ait été la volonté d’UNE conseillère fédérale que d’introduire le marché dans la LAMaL.

    @François:
    – pourquoi les gens changent peu d’assurance-maladie? On ne se penche guère sur la question, sauf pour critiquer 🙁 . Quelques pistes: souvent, on économise pas grand chose. Sur Vaud, l’assurance proposant la prime la moins chère est connue pour un pinaillage sur les factures (et la lenteur du remboursement), il faut payer soi-même ses frais de pharmacie…. Certaines personnes âgées ont pu aussi être échaudées par un changement s’étant difficilement effectué…
    – Ou en serait-on sans la LAMal? Il y aurait de plus gros frais d’aide sociale, « c’est tout ». La majeure partie de la population était assurée à  l’époque où la loi est passée.

  11. 6 février 2007

    ->Zozieau: pourquoi on ne change pas d’assurance maladie? Et bien peut-être tout simplement parce qu’il faut envoyer sa lettre de dédite 3 mois avant la fin de l’année, et que les assurances s’arrangent pour envoyer leurs tarifs de l’année suivante le plus tard possible… (l’année dernière j’ai eu très exactement 3 jours pour changer, youhou). Sans compter que le questionnaire que l’on doit remplir pour s’affilier est long, compliqué, indiscret. Et que les clauses sont draconniennes (ex. vous vous êtes fait opérer d’un cancer du poumon? et bien l’année d’après, si vous changez de caisse, celle-ci peut refuser de couvrir les risques inhérents au cancer du poumon. Alors bien sûr, vous le savez à  l’avance… donc vous ne changez pas.)

    ->Francois: je sais pas comment vous faites vos calculs, moi sur le canton de Berne, avec ma franchise à  1000 francs, je paye aussi mes 200euros! (femme/26 ans, mais j’ai aussi le risque accident… qui ne fait pas une énorme différence, si je me souviens bien)…

    C’est vraiment la jungle ce système. En France je payais 300 euros par an, et en Allemagne 600. Par an! Sans compter que dans le système suisse la contraception n’est pas prise en charge. S’il y a bien une raison pour fuir la Suisse, c’est celle-là !

  12. 6 février 2007

    @Fredoche:

    – Sur le changement: certes le questionnaire se veut dissuasif, mais il ne saurait empêcher l’adhésion; et non, il ne peut y avoir ni condition ni restriction en ce qui concerne l’assurance de base (contrairement aux complémentaires éventuelles, et évidemment on n’a guère envie d’avoir son assurance de base dans une caisse et sa complémentaire ailleurs, même si rien ne s’y oppose…). C’est plutôt un argument pour marquer plus clairement la différence entre des prestations de base (= compte santé) et ce qui peut être couvert par une complémentaire (= assurance commerciale), avant le gros risque / coût élevé (= prise en charge centralisée).

    – Pour les calculs: moi je parlais de 200 € pour la franchise de 300 CHF, vous c’est apparemment pour votre cotisation mensuelle. La Sécu française aussi elle doit bien être financée j’imagine, même si c’est plus indolore parce que c’est retenu à  la source (voire « payé par l’employeur », ce qui est une autre manière d’appeler la même chose…).

  13. Joss Winkler
    9 février 2007

    chers amis suisses,

    vous qui allez voter le 15 mars, ne faites pas la bêtise de copier le système français.

    Pour comprendre pourquoi le système de caisse unique ne peut en aucun cas fonctionner de façon correcte, je vous invite à  lire cette intéressante métaphore

  14. 9 février 2007

    Les système de Singapour est en effet très intéressant. Je préférerais naturellement une liberté totale; la liberté d’économiser, de cotiser… ou pas et de prendre le cas échéant le risque.

    Cependant, au point de socialisation des choix privés où nous sommes malheureusement, le système de Singapour me paraît constituer un excellent compromis. Merci d’en avoir parlé.

Les commentaires sont fermés