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Justice pénale: d’Outreau à  Billie-Jo…

Tandis que la France est entrée en thérapie de groupe en vue de comprendre et corriger les défauts du modèle inquisitoire en matière de justice pénale après l’affaire d’Outreau (plein de choses intéressantes à  lire chez nos petits camarades de Lieu Commun après l’audition du juge Burgaud devant la commission parlementaire d’enquête, et déjà  bien avant, y compris sur ce blog!), la presse britannique d’aujourd’hui expose ce qui est à  la fois la grande qualité mais aussi le défaut du système « accusatoire » anglo-saxon (celui que vous connaissez par la télévision).

Au lendemain de l’acquittement du père adoptif de Billie-Jo, une adolescente tuée à  coup de barre de fer dans le patio de la villa familiale alors qu’elle repeignait les volets, on apprend (BBC, The Daily Telegraph, The Guardian, The Times) que l’accusation s’était vu interdire, par le juge unique qui arbitre les débats, de présenter au procès le résultat d’une nouvelle expertise des traces de sang trouvées sur l’accusé et des témoignages sur des épisodes colériques et de violence familiale antérieurs.

Admirable volonté de faire respecter l’égalité entre les parties (l’expertise arrive trop tard, a décidé le juge), et de refuser que le jury soit amené à  se prononcer sous l’influence de faits extérieurs à  ceux dont il est saisi, dira-t-on! Mieux vaut un coupable libre qu’un innocent en prison, et on ne peut totalement exclure que Siôn Jenkins soit réellement innocent, que le crime soit réellement le fait d’une personne extérieure au cercle familial et sans que l’on puisse avancer un motif, même si c’est statistiquement peu vraisemblable… Le critère ultime de l’échec du système est ici qu’il y a indubitablement un crime, et que son auteur reste inconnu et impuni.

A vrai dire, ce dossier est assez extraordinaire. Après le crime en février 1997, Jenkins est condamné à  la prison à  vie en 1998. Un premier appel échoue, un deuxième aboutit: il est libéré en 2004 dans l’attente d’un nouveau procès. Il a lieu en juillet 2005, mais le jury ne parvient pas à  se déterminer. Le troisième procès, commencé en novembre 2005, s’est terminé hier à  nouveau sans que le jury parvienne à  atteindre la majorité qualifiée pour un verdict de culpabilité et, cette fois, le juge prononce l’acquittement. Le dossier reste toutefois ouvert et, si le Crown Prosecution Service renonce à  se lancer immédiatement dans une quatrième procédure sur la base de son ultime expertise, celle-ci n’est pourtant pas exclue à  jamais.

Attention, la phrase suivante est à  prendre avec des pincettes! Intuitivement, c’est-à -dire sur la base de ma connaissance très incomplète du sujet tout en me supposant une omniscience que je n’ai évidemment pas, j’aurais tendance à  croire que le système accusatoire (en tout cas dans sa version britannique) renonce à  condamner davantage de coupables que le système inquisitoire (de type français), et que le système inquisitoire condamne davantage d’innocents (ou condamne plus facilement pour un crime plus grave que celui que le condamné a effectivement commis) que le système accusatoire. Avantage éthique au système accusatoire? Mais il faudrait aussi se demander lequel des deux systèmes résout avec justice la plus grande proportion des crimes: si c’était le système inquisitoire, cela balancerait-t-il l’injustice faite aux innocents et coupables de moindre degré? Au demeurant, la division n’est pas aussi simple, les deux approches peuvent se combiner…

En tout les cas, je trouve désinvolte et surtout conservateur l’argument pro-système inquisitoire fréquent, en France, d’un prétendu avantage de classe sociale qui serait inhérent au système accusatoire: comme si système inquisitoire en était dépouvu. C’est en réalité un risque qu’il y a lieu de prévenir dans les deux systèmes (et le système britannique le fait notamment au travers d’un droit très développé à  l’assistance juridique).

13 commentaires

  1. 10 février 2006

    Bonne analyse. J’ajouterai que le gros inconvénient, c’est qu’il est totalement impossible de démontrer scientifiquement ces assertions. Il est impossible de savoir si on commet ou pas des erreurs judiciaires, et de quantifier celles-ci. Délicat, pour prendre une décision d’importance !

  2. 10 février 2006

    Je sais bien, c’est le problème… On ne connaît que quelques cas d’espèce de condamnés innocentés, de coupables acquittés, d’innocents condamnés et de condamnés généralement tenus pour innocents mais dont la culpabilité a été prouvée ultérieurement, mais ce n’est ni exhaustif ni même représentatif…

    Déjà  que je n’aimais pas trop être avocat (sauf à  être en position d’envoyer balader le client) et me suis en tout cas toujours gardé du pénal, mais juge d’instruction! 😉

  3. L’argument du déséquilibre dans les moyens d’investigation dans un système accusatoire n’a rien de désinvolte, ni de franco-français. Les avocats américains que je rencontre semble partager la même analyse que moi. Vous balayez mon argument sans vraiment démontrer en quoi il n’est pas pertinent.

  4. 10 février 2006

    Je joue dans le camps de Droit administratif, comme je l’avais déjà  posté en commentaire sur divers billets, je n’ai encore pas vu d’argument qui s’attaque à  l’effet (injuste ?) des moyens financiers de l’accusé dans un système accusatoire.

  5. 10 février 2006

    François, sans même invoquer la jurisprudence Eolas il me semble qu’entre communards on peut se tutoyer, non? [Sauf avec Paxa, évidemment (voir ci-dessous, No 7); mais je comprends maintenant qu’il ne veut pas être pris pour un flic.] Qui aime bien châtie bien et c’est chez toi que j’ai retrouvé le plus rapidement cet argument qui m’avait agacé à  plusieurs reprises ces jours (il n’est pas vraiment plus développé chez toi que ma réfutation). Certes qu’il soit avancé par des gens qui ne défendent pas leur système est plus crédible – sinon qu’on peut alors leur imputer le syndrome « ailleurs l’herbe est plus verte »! On n’en sort pas. Mais je maintiens ma conclusion: ce n’est pas un critère car les deux systèmes doivent prendre des mesures pour prévenir ce risque, en vérité universel. Et pour une fois GroM semble aller dans mon sens (commentaire chez toi) 😉

  6. 10 février 2006

    Laurent, si je comprends bien l’argument est qu’un riche s’en sort mieux et un pauvre moins bien… Tu veux vraiment me faire croire que ce n’est pas le cas dans le système inquisitoire? Un policier, un juge d’instruction, un président, un procureur seraient totalement insensibles à  ces choses là … Tiens, ça me rappelle ce précédent billet!

  7. 11 février 2006

    @François Brustch : par ailleurs, il me semble que vous englobez un peu trop de chose dans la distinction accusatoire / inquisitoire, notamment le degré de preuve attendu. Vous pouvez parfaitement avoir une procédure accusatoire avec de faibles exigences en matière de preuve, et une procédure inquisitoire avec, au contraire, des exigences plus fortes !

  8. 12 février 2006

    Dans un système inquisitorial, le défaut « avantage de classe » est remplacé par le défaut « système corporatiste », c’est-à -dire que le système judiciaire fonctionne quasiment en autarcie, collectant les preuves, montant les dossiers, etc. et la défense n’est souvent que simplement invitée à  collaborer.

    Je pense que puisque nous devons choisir, autant se donner un maximum de garantie qu’un des défauts n’aille pas trop loin. Ce sont ces garanties qui font gravement défaut dans le système français.

  9. 12 février 2006

    @Paxa: D’accord, évidemment, sur le plan conceptuel. Dans la pratique, connaissez-vous néanmoins un système accusatoire à  faible niveau d’exigence de preuve ou un système inquisitoire à  forte exigence?

    @Paul: je dirais « accentué » plutôt que « remplacé »… Et merci de la visite, je découvre ton blog avec beaucoup d’intérêt!

  10. 12 février 2006

    @ François. Oui. Les assises françaises sont un lieu accusatoire à  plutôt faible niveau d’exigence des preuves (avec le système de l’intime conviction, chacun se fixe son propre niveau). Le système inquisitorial français avant la Révolution était à  haut niveau d’exigences de preuve (d’où l’utilisation de la torture). A mon avis, le système accusatoire irakien ne sera pas trop exigeant sur les preuves à  fournir pour condamner Saddam Hussein…

  11. 12 février 2006

    @ Paul. Votre argument n’est pas totalement exact (mais il a beaucoup de pertinence, je le reconnais). On le voit dans le système américain, avec la grande importance attachée à  la « couleur » du jury. Je crains (et c’est un autre élément de réponse à  François) qu’un jury blanc, par le passé du moins, n’était pas très exigeant s’agissant d’un crime commis par un noir sur un blanc !

  12. 12 février 2006

    @François Breutsch : bon, je ne suis pas complètement candide non plus, mais j’aimerais bien quelques explications. Je me doute bien qu’une beau jeune homme blanc et riche sera un peu plus épargné qu’un noir des banlieues, mais on entre là  dans le domaine du préjugé social.

    Il me semble que le juge d’instruction, en tant qu’institution, est un meilleur moyen de se protéger de ces préjugés, à  condition que le juge soit bien formé… c’est-à -dire que si on choisit de le conserver, autant se le mitonner aux petits oignons, le juge d’instruction ! 😉

    Je reste persuadé que le mieux est de choisir un système et de l’assumer complètement : en limiter les défauts et laisser aux avantages les moyens de s’exprimer complètement.

  13. Alex
    13 février 2006

    La distinction entre la procédure accusatoire et la procédure inquisitoire a ses limites. Notamment celles fixées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est particulièrement intéressant en ce qui concerne la Suisse puisqu’en l’état, certains cantons connaissent une procédure avec juge d’instruction et d’autres non (tout cela pour appliquer le même code pénal). Ainsi, la Cour européenne a estimé qu’un juge d’instruction indépendant ne pouvait pas ordonner la détention d’un prévenu pour le seul motif que, comme c’est le cas dans certains cantons, il est amené à  rédiger l’ordonnance de renvoi qui sert de cadre aux débats du procès (voir ici l’arrêt de la Cour). On ne peut donc pas (ou plus) confier au juge d’instruction l’ensemble des décisions à  prendre en cours d’enquête, ce qui limite les différences entre les procédures inquisitoire et accusatoire ! Pour ceux que cela intéresserait dans la blogosphère, la Suisse prévoit de se mettre à  l’unisson en adoptant une procédure pénale unifiée. Le Conseil fédéral a proposé au Parlement un système sans juge d’instruction.

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